Maudit soit ce 12 octobre 1989 qui a arraché le guitariste Franco Luambo Makiadi, auteur-compositeur, chanteur et héros de la rumba congolaise, la rumba odemba, à l’affection des millions d’amoureux de sa musique, de sa guitare endiablée et, surtout, de ses chansons éducatives et un tantinet satiriques et provocatrices. François Luambo Makiadi Lokanga Lwa Nzo Pene Luambo totalise, ce 12 octobre 2017, 28 ans de séjour dans l’au-delà. Mais Yorgho est resté immortel à travers les multiples œuvres musicales léguées à la postérité.
Petit rappel anecdotique : avant de rendre l’âme sur son lit de malade de la Clinique universitaire de Namur (Belgique), Franco promettait encore, au cours d’un entretien avec notre confrère Benoît Lunkunku Nsapu de la RTNC qui avait réussi à lui arracher un ultime message, de revenir à Kinshasa parmi les siens et, de reprendre ses activités comme d’habitude. Il est bien revenu, Franco, le 15 octobre 1989, mais dans un cercueil en zinc hermétiquement fermé. Au milieu de la consternation et des pleurs quasi généralisés. L’une des voix les plus osées s’était donc définitivement tue. Ne restait plus qu’à lui offrir de dignes obsèques, à la hauteur de son rang. Ce fut fait, grâce au gouvernement de l’époque : Franco a été inhumé au cimetière de la Gombe. Quelques mois après, un mausolée a été érigé sur sa tombe.
Pénibles hommages
Lors de la messe de suffrages dite en la mémoire du disparu en la Cathédrale Notre Dame du Zaïre dans la commune de Lingwala avant de conduire le corps de Franco à sa dernière demeure, le révérend Abbé Ntoto, un des Officiants, déclarait que : « La mort des grands hommes devient un grain. Au moment où tu quittes ce monde captif des péchés pour t’installer dans le Royaume de Dieu et contrairement à une opinion répandue et admise gratuitement, il me plait de rappeler sur ton sujet que tu ne dérangeais pas, tu interpellais plutôt ».
Au cours des derniers hommages, pendant que les services funéraires s’activaient pour descendre le cercueil dans le caveau aménagé à cet effet, se multiplièrent des messages adressés au défunt, qui refusaient de se résigner devant le sort cruel. On aura retenu celui du ministre de la Culture et Arts de l’époque, Ngongo Kamanda, qui assurait d’un ton pathétique que « La grandeur de l’artiste dont nous déplorons la disparition résidait aussi dans son cœur généreux. Compositeur prolixe, provocateur, insatiable, imprévisible, craint et adulé, Luambo a été à tous les rendez-vous et à toutes les échéances de la révolution. »
Biographie riche en événements
Retracer le parcours biographique de Franco est, en réalité, « L’odyssée de Franco est un fantastique concert de mille sons difficiles à égrener », ainsi que l’affirmait un confrère Brazza-Congolais. Le peu qu’on puisse rappeler, c’est que François Luambo, fils de Papa Emongo et de Maman Hélène Mbonga Makiese, a connu une enfance tumultueuse au n° 100 de l’avenue Bosenge dans la commune de Ngiri-Ngiri à Léopoldville (Kinshasa). Une partie de la capitale qui s’appelait en ces temps-là «Quartier Far West », concurrente du quartier « Bois dur » dans la commune voisine de Dendale (Kasa-Vubu). Comme nombre de ses congénères de l’époque, la mère de Franco Luambo vendait des beignets au « Wenze ya Bayaka », qui existe encore aujourd’hui au même emplacement.
Apprentissage de la guitare
Dans son enfance, alors qu’il tournait généralement aux côtés de sa génitrice vendeuse de succulences, Luambo s’était fabriqué une guitare rudimentaire à l’aide de boîtes de conserve prolongées de six files de pèche de marque « Maurice Michaux ». Au début des années 50, quelque deux ans après avoir déserté les chemins de son école primaire à Léo II (Kintambo) en 1948-1949, sa guitare sèche en bandoulière, le petit Franco s’était fait griot, grattant allègrement mais néanmoins assidûment sur son instrument et chantant pour le plaisir des badauds le soir devant « Bolingo bar » dans la commune de Dendale. Ses maîtres furent les vieux Luampasi et Ebengo Dewayon. Le premier cité, convaincu par l’assiduité de son apprenant qui chantait aussi bien, décida de l’incorporer dans son groupe « Watama » qui en cette année-là (1953) récoltait un grand succès grâce à un 75 tours adulé, « Bokilo ayebi kobota ». Le 29 août de la même année, Papa Luampasi est invité à se produire avec Watama à Moerbeke (Kwilu-Ngongo). Le jeune Luambo fut retenu pour effectuer ce voyage. Et contribuera largement, à la grande satisfaction de son patron, au succès récolté par Luampasi et Watama dans cette terre de cannes à sucre. Au retour dans la capitale, le vieux Luampasi décida de présenter Franco à son producteur, Papa Dimitriou, le propriétaire des éditions et du studio Loningisa. Franco signa ainsi son entrée dans les écuries Loningisa en qualité de chanteur et guitariste accompagnateur. Suivie le 9 août 1953 d’un contrat de collaboration pour une durée de 10 ans.
Chez Loningisa évoluaient à l’époque des grands solistes comme Ebengo Dewayon, Bemi et autres, ainsi que des chanteurs comme Vicky Longomba (chef de studio), Landot Rossignol, Edo Nganga, Kouka Célestin ; le clarinettiste Essous Jean Serge, le bassiste Lubelo De La Lune, le saxophoniste Nino Malapet, le percussionniste (tam-tam) Saturnin Pandy, etc. C’est ce groupe d’artistes de Loningisa qui se muera en orchestre de productions scéniques donnant naissance, le 6 juin 1956, à l’O.K. Jazz.
Peintre de la société
Les premières chansons enregistrées par Luamba Franco en studio Loningisa, « Bolongo Béatrice » et « Liliane » épatèrent les mélomanes et conférèrent à son auteur une réputation grandissante au fil des années. 1958-1959, Franco marque son temps par des chansons de proximité, inspirées de la vie quotidienne. En même temps qu’il se faisait remarquer comme un véritable virtuose de la guitare. Jusqu’à la dernière seconde de sa vie, Luambo est demeuré moralisateur, éducateur, critique, patriote engagé voire, le révolutionnaire. Des œuvres discographiques comme Muana nanga batela ye, Bozoba nini muana muasi oyo, Kenge Majos et Majos Moke (dédiées à une ex. fiancée, Kenge Marie-Josée, qui l’avait déçu à quelques semaines du mariage), Franco akendiki na mobembo (sortie après sa sortie de la prison), Nakoma mbanda ya mama ya mobali nanga, Bandeko ya basi balingaka basi ya bandeko mibali te, Yaya Simon, Matata ya muasi na mobali esila te na mokili, Ozalaka très impoli, Radio trottoir, Flora, Tokende kovoter po tobengana démocratie, Ba députés bosala po na ekolo, Tout se paie ici-bas, Bisalela, Mokolo ntonga abotoli ntonga, Muasi nabali ayokanaka na bana nangai te, Mario, Mamou, Sida (posthume), etc. dessinent suffisamment ce qui fut cet artiste inégalable dans son genre.
Les finances
Néanmoins, la santé financière de Franco n’a pas épousé la courbe de ses productions artistiques. Son patron (1956-1960), le Grec Papa Dimitriou, le floua en lui offrant une maison de type « Fonds d’Avance » sur la rue Mokaria au quartier Yolo Sud, une Vespa et ainsi que de petites faveurs qui, en réalité, ne représentaient rien par rapport aux colossales sommes de droits d’auteur qui lui étaient dus. Vers fin 1959, Franco se rendit progressivement compte qu’il était exploité, et résilia le contrat avec Loningisa. L’artiste créera son premier label, « Epanza Makita » peu avant l’Indépendance, suivi de «Boma Bango». Plus tard, Franco fondera les éditions « Populaires » et, à Bruxelles une maison de productions musicales dénommée « Visa » avec la collaboration du défunt Alphonse Nsuka.
Franco, ce fut aussi le patron de l’orchestre national du Zaïre (aile Odemba) qui comptait en son sein les artistes Papa Noël, M’Pongo Love, Josky Kiambukuta, Verckys Kiamuangana, Isaac Musekiwa et tant d’autres qui prirent part à l’enregistrement de l’Anthologie de la musique zaïroise moderne. L’autre aile de l’orchestre, dirigé par Tabu Ley Rochereau en fit autant, du reste.
Yankee
Natif du quartier Far West, Franco a subi de plein fouet l’influence des jeunes de l’époque, qui se surnommaient Yankee, sans doute à l’image des héros des films westerns qui véhiculaient l’image d’un monde de sans pitié et sans scrupules, où la force physique réglait tout. En 1957 et en 1958, Luambo sera mis aux arrêts à deux reprises par les autorités coloniales et incarcéré dans la prison de Ndolo : la première fois pour avoir roulé sur son Scooter (Vespa) sans permis de conduire, la deuxième fois, pour avoir brûlé un feu rouge.
Seul maître à bord
Après le départ de Longomba parti à Bruxelles accompagner Kabasele et son African Jazz, Luambo Makiadi reste le seul maître au sein de son orchestre et s’en sort plutôt bien. Brazzos Armando ayant accompagné Longomba, le maître à jouer Ya Fuala recruta deux jeunes musiciens, le chanteur Mulamba Joseph dit « Mujos » et l’accompagnateur Bombolo « Bolhen » pour combler les vides.
Revenu de Bruxelles en 1961, Vicky Longomba crée l’orchestre Negro Succès (Bana 15 ans) et débauche Bolhen de l’OK Jazz pour lui confier des hautes responsabilités à la direction artistique de la nouvelle formation.
Dynamique et plus entreprenant que jamais, Franco jettera son dévolu sur l’accompagnateur de Micra Jazz, un groupe musical de la commune de Saint Jean (Lingwala) en la personne de Lutumba Simaro.
Voyage en Europe
Quelques mois après l’arrivée de Lutumba, Franco et l’OK Jazz effectuent leur première tournée en Europe. A leur retour au pays, les amis communs de Vicky Longomba et de Franco Luambo décident de les réconcilier. Vicky regagne l’O.K. Jazz.
En 1963, alors que l’OK Jazz est dépouillé d’une bonne partie de ses musiciens, originaires de Congo Brazzaville, rappelés au pays pour aller créer l’orchestre Bantous National (Bantous de la Capital), l’intarissable et «provocateur» Ya Fuala largue sur le marché la chanson : « Yo moto na simisi molayi, yango buatu wana ya yo ? ». L’œuvre suscita des commentaires en sens divers.
En 1970, Franco et Vicky se chamaillent de nouveau. Le dernier cité quitte l’OK Jazz et s’en va créer son « Lovy du Zaïre » qui n’aura que l’effet d’un feu de paille. Tandis que Franco poursuit son bonhomme de chemin avec un OK Jazz en parfait état de santé, qui attire foules à ses concerts chez Engels Bar (actuel Un-Deux-Trois/Mama Kulutu). Profitant d’un voyage de Franco à Bruxelles, le propriétaire-locataire d’Engels Bar, un certain Colonel Denis Ilosono, ci-devant secrétaire particulier du Président Mobutu, débauche tous les musiciens de l’OK Jazz restés à Kinshasa, sauf Simaro qui résiste à la corruption – une Vespa – qu’il intègre dans un orchestre dénommé « La Révolution ». Informé, Luambo regagne en catastrophe la capitale. Sans traîner, il recrute de nouveaux musiciens qu’il adjoint à son fidèle Lutumba Simaro. Après une semaine de répétition, Franco et son OK Jazz livrent un grand concert chez Engels Bar, bondé de monde. Quelques semaines après, les mélomanes assistent incroyablement au retour au bercail des traîtres précités, un après l’autre, au point de vider l’orchestre « La Révolution », qui est mort de sa belle mort depuis lors.
T.P. O.K. Jazz s’impose
A partir de 1974, avec l’arrivée des Josky, Sam Mangwana, Pépé Ndombe, Wuta Mayi, Ntesa Dalienst, Dizzy Mandjeku et tant d’autres talents, Franco fait du TP OK Jazz une grande entreprise musicale qui emploie une quarantaine d’artistes-musiciens aguerris, parmi lesquels quelque vingt chanteurs rivalisant de talents. Entre-temps Franco retourne lui-même devant le micro, en plus de sa guitare-solo. Avec son orchestre, ou parfois seul, Franco a entrepris plusieurs voyages dans les quatre coins du monde. Il a réalisé plus d’une centaine d’enregistrements. A part, la musique, il était entrepreneur, constructeur, transporteur interégional avec son grand bus qui reliait Kinshasa et Matadi, dirigeant sportif en qualité de président de l’AS V.club qu’il a mené au sacre national.
Franco responsable de famille
Franco, père de famille, avait pour première épouse Pauline Moyo, de laquelle il eût 5 enfants, dont un seul garçon, Emongo Luambo, l’actuel gestionnaire-responsable du bar « Un-Deu-Trois » et de ce qui reste de l’orchestre TP OK Jazz. Sa deuxième épouse fut Annie Mbosi, une ancienne « Rocherette » (danseuse de Rochereau) devenue « Francorette ».
Décorations méritées
Plusieurs fois décoré sous le régime de Mobutu, Franco a été élevé au rang de « Grand Cordon de l’ordre national du Léopards » à titre posthume.
Dans le domaine musical, on reconnaît ses nombreux mérites, entre autres « Maracas d’or ».
Certainement Luambo Franco « Grand Maître », restera difficilement remplaçable.
Zenga Ntu