Les relations, déjà délicates, entre la RD Congo et la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), ont enregistré le 29 août 2017 à Kananga un nouvel incident déplorable mais révélateur. Dans cette région kasaïenne fragile, qui sort péniblement d’un an de violences et d’exactions terroristes attribuées à une flopée de milices se réclamant toutes du label Kamwina Nsapu, un homme poursuivi par des éléments des forces de sécurité lancés à sa poursuite pour présomption de constitution d’un nouveau groupe armé, a échappé de peu à l’arrestation en se réfugiant dans les installations onusiennes. L’homme, Diyi Tshitenge, se présentant comme journaliste à la radio Kasaï Horizon avait tenté, quelques minutes plus tôt, de mobiliser des jeunes pour une « offensive décisive » contre le régime au pouvoir « conformément aux conclusions du conclave de Chantilly (France), tenu le 18 août dernier, qui appellent à une transition sans Joseph Kabila, le Président de la République en fonction, en RD Congo », selon une dépêche de nos confrères de l’Afp pour qui il ne s’agissait que d’une banale « réunion d’opposants ». En voyant arriver sur les lieux des éléments conduits par le commandant FARDC en charge de la sécurité dans la province, Diyi Tshitenge a filé droit sur les installations de la Monusco à Kananga, avant d’être rattrapé à l’entrée où une bousculade s’est produite, selon des sources indépendantes crédibles. « A l’entrée de l’installation de la Monusco, une bousculade a opposé le personnel onusien aux militaires commis à la garde du commandant FARDC qui tentait d’interpeller Diyi Tshitenge », rapporte le correspondant de l’Afp témoin des faits.
Injonctions de force d’occupation
Mercredi 30 août, 24 heures après l’incident, la mission onusienne s’est fendue d’un communiqué lapidaire signé de Maman Sambo Sidiku, représentant spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies en RDC et chef de la MONUSCO condamnant « l’intrusion des militaires de l’armée dans ses installations » et demandant au gouvernement congolais de « s’assurer que les responsables de cet incident répondent de leurs actes » et « prendre des mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise plus ». Le ton pour le moins comminatoire du responsable de la plus grande force onusienne jamais déployée à travers le monde (près de 20.000 hommes) aurait été motivé par « les tracasseries et menaces dont les journalistes sont de plus en plus la cible (et) témoignent d’une restriction de l’espace de la liberté d’expression qui ne va pas dans le sens de la décrispation attendue », peut-on encore lire sur ce communiqué, décidément particulièrement engagé. Mais surtout révélateur du rôle que la mission des Nations-Unies semble avoir décidé de se donner dans ce pays contient en proie à une instabilité et à une insécurité chronique qu’elle n’a pas réussi à juguler depuis 20 ans maintenant.
Région sensible
Selon les chiffres … onusiens, parce qu’ils émanent d’Ocha, la structure qui coordonne les services humanitaires de la mission, le Kasaï, c’est plus ou moins 2,8 millions de personnes en insécurité alimentaire du fait des exactions d’une milice qui a tué, pillé, incendié durant un an, et que les forces armées et de sécurité congolais essayent avec un certain succès d’éradiquer ; 149 incidents de protection, 12 conflits intercommunautaires rapportés rien que pour le mois de juillet dernier ; mais surtout, « le climat sécuritaire (…) s’est davantage « crispé » ces derniers jours dans certaines zones en raison de craintes de violences suite aux appels à manifester sur tout le territoire national lancés les 8 et 9 août dernier par l’opposition », selon un rapport de suivi de la situation humanitaire publié par Ocha le 17 août 2017. Il y a donc seulement 2 semaines.
Au cours d’un forum sur l’actualité, Rein Paulsen, le responsable de Ocha en République Démocratique du Congo, rendait public des chiffres très alarmants à ce sujet « 400 écoles sont touchées par la violence, 260 sont détruites au Kasaï. 1,4 millions de déplacés et les enfants composent 40 à 60 % des effectifs des milices», avait-il révélé, entre autres statistiques effarantes…
Initiatives déstabilisatrices
C’est donc au cœur même de cette région sensible qu’un prétendu journaliste, qui s’apprêtait à vulgariser un appel à une sorte de « coup d’Etat civil » dans le même style que la jacquerie tribale et politico-mystique qui a mis le centre du pays sens dessus dessous, a trouvé refuge et protection de la mission onusienne, assortis d’un plaidoyer en faveur de l’élargissement des libertés publiques pour « décrisper ». La pilule, plutôt amère, n’est pas passée dans les milieux du gouvernement dont le porte-parole et ministre de la Communication et Médias, Lambert Mende Omalanga, a aussitôt réagi en expliquant que « La justice militaire pourchassait une personne présumée auteur d’une infraction de constitution de groupes armés qui a trouvé refuge dans les installations de la Monusco ». Car, de l’avis de sources proches du dossier, l’individu qui recrutait des adhésions pour une action insurrectionnelle dans une ville de Kananga à peine pacifiée, n’aurait brandi sa qualité, et une carte, de journaliste qu’aussitôt à l’intérieur de la base de la MONUSCO. Comme le correspondant de l’Afp à Kananga, le ministre Mende assure que les éléments des forces armées lancés à la poursuite de Diyi s’étaient « arrêtés à l’extérieur de la base sans y entrer ». Ce que confirment également des images de l’incident postés sur les réseaux sociaux. « Si des criminels trouvent refuge dans les installations de la MONUSCO, ça devient très préoccupant. La Mission onusienne devrait remettre cette personne à la justice pour qu’elle soit poursuivie quitte à s’assurer que les procédures soient strictement observées », a estimé le porte-parole du gouvernement de la RD Congo.
Au-delà de ces échanges par médias interposés entre la mission onusienne et les autorités de la RD Congo transparaît une des faces cachées de cette « imposante » mission qui déstabilise plus qu’elle ne stabilise, selon certains observateurs. Véritable Etat dans l’Etat, la MONUSCO s’arroge de plus en plus le droit de se substituer aux institutions d’un Etat souverain qu’elle est appelée à consolider dans leur rôle régalien. Ses préposés se permettent de juger, condamner, sanctionner, absoudre en lieu et place des cours et tribunaux. Souvent, on les entend rappeler à l’ordre les autorités nationales. L’incident de Kananga est plus que révélateur à cet égard, puisqu’il indique que dans les faits, la MONUSCO s’érige en défenseur d’une notion de démocratie très discutable, en l’espèce. Parce qu’elle sape la sécurité nationale et l’autorité de l’Etat sous prétexte de protection d’espaces de libertés même là où les espaces de vie publique sont menacés de disparition. « On peut douter que l’accord de siège qui lie les Nations-Unies à la RD Congo ait confié une telle responsabilité à cette mission », ironise un diplomate africain en poste à Kinshasa interrogé par Le Maximum.
Etat déstabilisateur dans l’Etat
Encore que dans l’affaire Diyi, et ses prétentions à la qualité de journaliste s’avèrent pour le moins discutables. Parce que convoquer « une réunion d’opposants » pour appeler à une insurrection dans une région qui n’a pas encore fini de panser les plaies d’une rébellion armée qui a coûté la vie à plusieurs centaines de personnes ne fait certainement pas partie des moyens classiques d’exercice de la profession de journaliste, et est de nature à remettre en cause ses prétentions à cette profession. Au-delà ces moyens d’expression (des voies de presse donc), il devient oiseux de le distinguer d’avec un activiste politique ou d’un criminel.
J.N.