Jusqu’auboutistes comme jamais auparavant, les évêques de l’église catholique romaine de la RD Congo mènent désormais leurs activités politiques à découvert. Le 17 août 2017 au siège de Fédération Internationale des Droits de l’Homme puis dans un établissement hôtelier de Chantilly à Paris, une délégation de la CENCO (Conférence Episcopale Nationale du Congo) a pris une part plus qu’active à la signature du manifeste dit de la société civile, qui entend engager la RD Congo dans une lutte politique pour l’éviction d’un Chef de l’Etat élu au suffrage universel et l’instauration d’une transition prétendument citoyenne. La troisième transition, après la transition mobutienne des années ’90 au cours de laquelle la même CENCO joua un rôle qui influence encore aujourd’hui le cours de l’histoire politique du pays, puis la transition de ‘2000, qui mit un terme à la tristement célèbre « première guerre mondiale africaine ». La semaine dernière à Paris, les évêques ont franchi un pas de plus, peut être le pas de trop, en apportant leur caution à un plan qui viole délibérément l’ordre constitutionnel et légal en vigueur. Vers des horizons dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont opaques.
Nouveaux croisés
La croisade politique cléricale avait commencé plus tôt en réalité. Le 23 juin 2017, à l’issue de leur 54ème assemblée plénière, les calottes sacrées de l’église catholique avaient lancé un véritable brûlot contre la Majorité présidentielle au pouvoir, « Le pays va mal », qui appelait les rd congolais à se mobiliser pour mettre un terme à la légalité en vigueur au pays depuis 2006. Cinq jours plus tard, le 28 juin, les évêques ont lancé, à grand frais, une « campagne de sensibilisation aux manifestations pacifiques pour que ça ne soit pas non plus une anarchie (…). Maintenant, les commissions diocésaines ‘Justice et paix’ vont s’y mettre. Elles vont éduquer et sensibiliser les populations pour les aider à réagir de façon constitutionnelle, à défendre leurs droits…», a-t-on entendu dire l’Abbé Donatien N’shole, secrétaire général et porte-parole de la CENCO. Tout en affirmant hypocritement ne pas avoir « les détails du timing », ce prêtre très proche de l’aile radicale du Rassemblement de l’opposition a précisé devant la presse que cela dépendait du niveau de mobilisation qui serait atteint dans différents coins du pays « parce que la mobilisation n’est pas la même partout ».
Médiations
Quelques mois auparavant, cependant, leurs excellences se contorsionnaient encore dans un semblant de rôle de médiation « apolitique ». En se chargeant, non sans maladresses criardes, de la facilitation des concertations politiques entre acteurs politiques et de la société civile en vue d’une alternance pacifique au sommet de l’Etat. La mise en œuvre de l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 au Centre catholique interdiocésain de Kinshasa ayant, au moins partiellement, échoué du fait qu’une partie de l’opposition radicale, les évêques qui confirment ainsi leur couleur politique ont résolu de sortir carrément du bois pour réaliser leur dessein : dépouiller Joseph Kabila et sa majorité de tout pouvoir d’Etat hors de tout processus démocratique, au mépris des dispositions de la constitution en vigueur relatives à l’exercice des mandats et des fonctions présidentiels.
Alternance
Avant d’en arriver au semi-échec – parce qu’une partie de la classe politique et de la société civile poursuit la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre dernier – la CENCO avait bruyamment quitté les précédentes négociations politiques essentiellement axées sur l’organisation d’élections démocratiques, crédibles et apaisées. Celles dites de la Cité de l’Union Africaine, organisées sous la facilitation et l’entregent de l’Union Africaine qui en avait confié la tâche à son ancien secrétaire général, le Togolais Edem Kodjo. Prenant part à ces assises nationales au même titre que toutes les confessions religieuses du pays, les catholiques s’étaient illustrés en les désertant sous le premier prétexte venu, sans doute peu à l’aise dans le rôle manifestement secondaire et peu actif qui leur y était dévolu. Le 20 septembre 2016, la délégation de l’église catholique romaine suspendait sa participation aux travaux sous prétexte que d’œuvrer en faveur d’une meilleure inclusivité. La CENCO « … ne signera pas un accord qui n’engagera pas l’ensemble des acteurs politiques », de même qu’elle ne « signerait pas ou n’approuverait pas un accord qui ne respecte pas le cadre constitutionnel, particulièrement les articles verrouillés, dont l’alternance politique », expliquait encore le volubile Abbé Donatien Nshole.
Les chemins tortueux empruntés par les évêques de la CENCO menaient manifestement déjà vers un objectif à peine voilé de l’accaparement du pouvoir d’Etat, ainsi que le révélaient des confrères en ligne fin janvier dernier. Les prélats ne s’en cachaient du reste pas trop, ils avaient, disaient-ils à qui voulait les entendre, un « plan B » au cas où les résultats des négociations ne correspondraient pas à leur vision. C’est ce fameux « plan B » qui semble avoir été décliné dans le manifeste signé par des acteurs plus ou moins connus de la « société civile » coaché par Sindika Dokolo, gendre du Président angolais sortant Edouardo Dos Santos connu à Kinshasa comme le mentor politique de Olivier Kamitatu Etsu, le nouveau porte-parole de Moïse Katumbi Chapwe.
Tous les chemins mènent à Rome
A Chantilly, les signataires du fameux manifeste de la société civile se sont engagés à œuvrer en faveur d’une transition dite citoyenne sans le Président de la République élu en 2011, Joseph Kabila. Qui devrait être remplacé avant la tenue de la présidentielle donc. Mot pour mot ce que venaient de déclarer quelques jours plus tôt des ténors de l’opposition radicale katumbiste depuis ce qu’ils considèrent comme un échec des négociations du centre catholique interdiocésain de Kinshasa. Sur la personne qui devrait devenir Chef de l’Etat dans ce véritable schéma putschiste, aucun nom d’acteur politique n’est avancé, mais tous lorgnent sur la CENCO, dont on sait qu’elle avait déjà été à deux doigts de rafler le ‘top job’ après la Conférence Nationale Souveraine vers la fin de l’ère Mobutu et alors que l’AFDL des Kabila père et fils marchaient sur Kinshasa. Dans une interview à La Libre Afrique, le 13 août dernier, Antipas Mbusa Nyamuisi de l’Alliance pour le Renouveau, une plateforme du Rassemblement, aile katumbiste ne s’en cache pas, lui. « Pour la transition, le clergé pourrait jouer un rôle en vue », a-t-il répondu à une question sur le candidat président de la République de la transition idéal à venir.
Diktats politiques
On n’est pas très loin des révélations du site Congovirtuel.org de janvier dernier. Dans un document daté du 8 janvier 2017 et signé de Mgr Marcel Utembi, le président de la CENCO, par ailleurs archevêque métropolitain de Kisangani se présentait carrément comme « une alternative » en cas d’échec des pourparlers. Le document diffusé dans les réseaux sociaux, qui avait provoqué une réaction épidermique immédiate des calotins, voyait déjà Joseph Kabila Kabange comme un président représentatif sans impérium. Marcel Utembi devant, au nom et pour le compte de la CENCO, jouer le rôle de véritable leader de la transition jusqu’à l’investiture du nouveau Chef de l’Etat élu. Tandis que les rênes de la conférence des évêques de l’église catholique romaine reviendraient à son tonitruant second, Mgr Fridolin Ambongo, archevêque de Mbandaka-Bikoro auquel on attribue la paternité du brûlot lu par Utembi du haut de la tribune des Nations Unies à New York selon lequel « aucune institution n’est légitime en RDC », en totale contradiction avec la lettre et l’esprit de l’article 70 de la constitution congolaise. Le « plan B » des évêques-politicailleurs envisageait une période transitoire de 6 mois à 3 ans …
Des siècles en arrière
Quoiqu’il advienne de ces perspectives charlatanesques pour l’avenir politique de la RD Congo à la lumière des révélations troublantes de nos confrères de Congovirtuel.org, une chose est certaine : les immixtions des princes de l’église catholique romaine dans les affaires politiques sont plus que questionnables aux yeux de nombreux observateurs. Depuis la période coloniale et l’éprouvant épisode de la lutte pour l’indépendance, les connivences de l’église catholique avec les puissances non africaine qui tiennent mordicus à régenter le pays de Lumumba la place toujours du côté des oppresseurs des Africains. La mobilisation en faveur d’un régime de l’arbitraire au sein duquel le clergé jouerait un rôle déterminant ramène le pays plusieurs siècles en arrière, en réalité : à ces époques d’avant la séparation entre l’église et l’Etat, concrétisée au début du 19ème siècle dans les pays dits de vieille démocratie. C’est tout le contraire du progrès que les rd congolais appellent de tous leurs vœux depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale. Instaurer en RD Congo une troisième période transitoire pilotée par la frange réactionnaire de l’église catholique romaine ne fera nullement avancer la démocratisation du pays, loin s’en faut. Ce que les Congolais attendent aujourd’hui, c’est la tenue des troisièmes scrutins électoraux consécutifs après 2006, si imparfaits et laborieux soient-ils.
J.N.