24 heures après la publication du rapport semestriel du Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en RD Congo (BCNUDH), le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations-Unies, Zeid Ra’ad Al Hussein, a nommé trois experts internationaux chargés d’établir les responsabilités sur le phénomène Kamwina Nsapu dans les provinces Kasaiennes. L’équipe dirigée par le Sénégalais Bacre Ndiaye, est également composée du Canadien Luc Côté et de la Mauritanienne Fatimata M’Baye. Elle gagnera la RD Congo début septembre prochain. A Kinshasa, la décision du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme a été le plus officiellement possible transmise à Marie-Ange Mushobekwa, la ministre des Droits Humains, qui avait déjà défendu le dossier avec succès en juin dernier à Genève par les ambassadeurs des Etats-Unis et de Grande Bretagne en RD Congo qui ont sollicité du Gouvernement congolais des facilités consulaires pour les trois experts.
Victoire du Gouvernement de la RDC
La mission des experts onusiens en RD Congo consacre, il faut l’avouer, la victoire du gouvernement de la RD Congo contre la puissante coalition composée par une Union Européenne cornaquée par la Belgique, ancienne métropole coloniale avec l’appui des Etats-Unis d’Amérique, et la bureaucratie onusienne, qui avait appelé avec une lourde insistance à l’envoi au Congo-Kinshasa d’une commission d’enquête internationale indépendante « en vase clos ». Une formule qui présentait l’inconvénient d’inférer la négation de l’existence de l’Etat et d’un pouvoir légitime dans un pays membre des Nations-Unies. Le président Joseph Kabila et son gouvernement s’y étaient farouchement opposé de toutes leurs forces, et la délégation rd congolaise à Genève en juin dernier a obtenu le soutien des Etats africains, asiatiques et sud-américains qui perçoivent de plus en plus mal les ingérences impérialistes d’une prétendue communauté internationale dans les affaires intérieures des autres Etats.
Les objectifs assignés aux experts onusiens sont clairs : ils sont chargés de «… réunir et de conserver des informations, d’établir les faits et les circonstances conformément aux normes internationales et à la pratique, et, tout en assurant la protection de toutes les personnes qui coopèrent avec l’équipe, en coopération avec le Gouvernement de la RDC, notamment en facilitant les visites et l’accès au pays, aux sites et aux personnes, concernant des violations présumées des droits de l’homme et des violations du droit international humanitaire dans les régions du Kasaï, de communiquer aux autorités judiciaires de la RDC les conclusions de cette enquête afin d’établir la vérité et de faire en sorte que les auteurs des crimes odieux soient tous traduits devant les autorités judiciaires de la RDC ».
Une mission sans équivoque
La nomination de ces trois chefs-experts internationaux chargés d’enquêter sur les violences dans les Kasai, de concert avec leurs homologues congolais sous l’autorité des instances judiciaires nationales intervient néanmoins après la publication du rapport semestriel du Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en RDC. Un document qui prête le flanc à des critiques acerbes de nombreux observateurs et du pouvoir rd congolais. Selon ce document rendu public le 25 juillet 2017, au moins 2.822 cas de violations et d’atteintes aux droits de l’Homme ont été enregistrés sur le territoire rd congolais au cours du 1er semestre de l’année en cours. Et près de 58 % de ces violations, soit 1.627 cas, ont été perpétrées par « des agents de l’Etat » (Police Nationale, Forces Armées de la RD Congo, Agence Nationale des Renseignements), selon le rapport onusien, qui fait fi des récriminations, également habituelles, du gouvernement rd congolais sur l’amalgame dont procèdent ces affirmations « infâmantes ».
Parce que pour la plupart des officiels onusiens affectés ici, le pays de Lumumba est considéré comme une sorte d’Etat néant dont ils ont pris l’habitude de nier et dénigrer les institutions et les technostructures, qu’elles placent subtilement sur le même pied d’égalité que les miliciens et rebelles de tous bords qui écument le pays. Les 58 % de « violations des droits de l’homme » attribués aux « agents de l’Etat », sans le moindre distinguo avec l’usage légitime et légal de la force publique pour la répression des infractions et des crimes commis sur le territoire de ce pays, sont symptomatiques de cet état d’esprit que Kinshasa qualifie d’impérialiste et néocolonialiste.
Biographie des chefs experts onusiens
Le juriste sénégalais Bacre Ndiaye a occupé plusieurs fonctions au Haut Commissariat aux Droits de l’Homme à Genève et à New York, de 1998 à 2014. De 1992 à 1998, il était Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, participant à des missions en ex-Yougoslavie (1992), notamment à la Commission d’enquête internationale sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité; au Rwanda (1993 et 1994) et en Papouasie-Nouvelle-Guinée (1995). M. Ndiaye a été membre de l’Ordre des avocats du Sénégal de 1982 à 1998, occupant le poste de Secrétaire général pendant huit ans (1983-1991). En 1995, il a été nommé à la Commission Vérité et Justice en Haïti.
Le Canadien Luc Côté est aussi un avocat. Pénaliste depuis près de 30 ans, il est plus particulièrement spécialisé en droit pénal international, et est expert en matière de justice transitionnelle. Il a occupé les fonctions de Conseiller juridique principal au sein du Tribunal pénal international pour le Rwanda de 1995-99, et de Directeur des poursuites criminelles pour le Tribunal spécial de la Sierra Leone de 2003-05. En 2006, il a été désigné Directeur exécutif de la Commission spéciale d’enquête indépendante pour le Timor-Leste. Il a assuré la coordination de l’exercice de cartographie des Nations Unies en RDC (2008-2010). Il a participé à la Commission d’enquête internationale indépendante pour le Kirghizistan (2011), et coordonné le programme de soutien de l’Etat de droit pour la Mission des Nations Unies à Haïti (2015-16). M. Côté a également collaboré à des projets de stabilisation au Kenya et en Somalie, en République centrafricaine, en Bosnie, à Haïti et au Liban.
La Mauritanienne Fatimata M’Baye est, quant à elle, vice-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), présidente de l’Association mauritanienne des Droits de l’homme et siège au Conseil de l’Institut de la société civile de l’Afrique de l’Ouest. En 1999, elle est devenue la première Africaine à recevoir le Prix international Nuremberg des droits de l’homme pour son action en faveur des droits de l’homme en Afrique. Mme M’Baye a également participé à la Commission d’enquête internationale sur la Côte d’Ivoire et à la Commission d’enquête sur la République centrafricaine en 2014. Elle siège au Conseil du Fonds de contributions volontaires pour la coopération technique dans le domaine des droits de l’homme. Elle préside la Commission des droits des femmes de l’Association mauritanienne des droits de l’homme et fait fonction d’avocate-conseil pour «Terre des Hommes», apportant une aide juridique aux mineurs accusés d’infractions pénales.
J.N.