Abcès crevé ! Des acteurs politiques rd congolais grimpent sur leurs grands chevaux depuis le week-end dernier. Corneille Nangaa Yobeluo, le fringant président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a osé… marcher sur leurs plates-bandes : en exprimant à haute et intelligible voix sa conviction d’expert selon laquelle il était « impossible » de tenir les trois rounds électoraux en RD Congo en 2017, à l’allure où vont les choses. Une lapalissade, pourtant, qui perturbe au plus haut point la marre aux caïmans qu’est l’arène politique du pays de Lumumba et de Mzee Kabila. Radicaux de l’opposition, mais aussi des moins radicaux jusque-là, tournent et se retournent dans tous les sens, comme atteints par des flèches empoisonnées.
En annonçant, le 7 juillet dernier devant les ambassadeurs du groupe africain réunis à Genève puis du haut de la tribune de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à Paris que « avant décembre, ça ne sera pas possible d’organiser des élections présidentielles et législatives, nationales et provinciales dans les conditions fixées par l’Accord signé le 31 décembre 2016 » le président de la CENI a provoqué le courroux d’une partie de la classe politique congolaise. Non pas nécessairement parce qu’il a révélé un secret – tous savaient pertinemment bien qu’il était impossible de tenir les délais prévus à l’Accord de la Saint Sylvestre – mais parce qu’ainsi, Nangaa a ôté du pain de la bouche de ceux qui essayaient de marchander leur avenir en se servant d’une fiction politique.
Du pain retiré de la bouche
C’est dans les rangs de l’opposition politique que le désarroi paraît plus patent. A commencer par Moïse Katumbi Chapwe, l’ex gouverneur de la défunte province minière du Katanga qui s’est juré de devenir président de la RD Congo, de préférence le plus tôt possible. « La CENI doit publier le calendrier avant le 31/07. Le peuple l’attend et l’Accord CENCO l’exige », a-t-il aussitôt posté sur son compte Tweeter. André Claudel Lubaya, ancien gouverneur de province lui-aussi (ex Kasai Occidental) passé au Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement/aile Katumbi après avoir été débauché des rangs de l’UNC de Vital Kamerhe, un candidat à la présidentielle qui paie à prix de nombreuses défections de cadres son entêtement à ne pas courber l’échine devant les ambitions du richissime « Moïse », s’est fendu d’un refrain qu’il ressasse depuis des lustres : « Report Elections. Schéma préétabli pour priver le peuple de son droit de se choisir ses dirigeants. UDA appelle à la démission bureau CENI », pouvait-on lire sur le compte de ce chef d’un parti politique dont l’essentiel de la base électorale ne s’est même pas encore enrôlée, parce qu’elle est kasaïenne. Même son de cloche chez Félix Tshilombo Tshisekedi qui, tel un clone de son mentor et financier Katumbi, a affiché que « Corneille Nangaa a déclaré la guerre au Peuple congolais », comme s’il était à lui seul devenu ce « Peuple congolais ». Autre acteur politique qui a tenu à « crever l’écran », le collectionneur d’œuvres d’art et gendre du Chef de l’Etat Angolais Edouardo Dos Santos, Sindika Dokolo fils d’un homme d’affaires Ne Kongo ruiné par la dictature mobutiste dont le crédo politique est devenu depuis peu le départ de Joseph Kabila du pouvoir avant toute élection en RD Congo. Son tweet ne s’en éloigne guère : « Par les élections, le peuple congolais voulait l’alternance en 2017. Nangaa / Kabila nous la refuse, la Constitution nous l’offre (Art 64.1). Kabila est prêt à toutes les promesses pour se maintenir. Nous sommes de retour à Outeniqua 20 ans après. La seule négociation, c’est son départ », réassure-t-il.
Modérés et moins modérés
Un peu moins extrémistes mais tout aussi révoltés apparaissent les réactions d’acteurs politiques comme Martin Fayulu, même si le patron de l’Ecide (Engagement Citoyen pour le Développement), un petit parti politique de la capitale rd congolaise, est connu pour son inclinaison à la falsification des faits au profit de sa cause politique. Sur les antennes Top Congo FM, dimanche 10 juillet 2017, le néo-katumbiste a appelé le président de la CENI à démissionner s’il n’est pas capable d’appliquer l’Accord de la Saint Sylvestre en faisant semblant d’oublier que ce sont les acteurs politiques qui sont chargés de l’application de leur « entente ». Fayulu reproche à Corneille Nangaa d’avoir révélé l’impossibilité de la tenue des scrutins avant décembre prochain en RD Congo. Sam Bokolombe Batuli, un ancien DG de la toute puissante Direction Générale des Contributions pour le compte du MLC de Jean-Pierre Bemba, élu député en 2011 sous la bannière de l’UNC de de Vital Kamerhe dont il vient de claquer la porte, y va lui aussi de sa petite rengaine sur Nangaa Yobeluo : « Il aurait été respectueux que la primeur de l’annonce de l’impossibilité de tenir les scrutins au 31 déc. 2017 fût réservée aux Congolais », énonce ce récent docteur en Droit de l’Université de Kinshasa. Sur ce registre de « il ne ment pas mais … », c’est de l’UNC de Vital Kamerhe que vient la cerise sur la gâteau. Sur les antennes de Top Congo FM, le même dimanche 10 juillet, le député Mayo Mambeke a mis tout son talent d’avocat (et donc de défenseur de n’importe quelle cause, pourvu qu’elle soit défendue) pour décréter que Corneille Nangaa s’était rendu coupable d’on ne sait trop quel type de « faute lourde » dans l’exercice de ses fonctions. Qui appelle à la démission. Arguments de l’ancien directeur de cabinet de l’ancien Speaker de la chambre basse du parlement pour le compte du PPRD : le président de la CENI joue le jeu de la Majorité Présidentielle et n’est pas une « église au milieu du village » ; la déclaration à l’OIF, qui n’aurait pas dû être émise avant la réunion CENI-Gouvernement-CNSA, attise les tensions ; l’enrôlement est lent à Kinshasa… La conclusion de Mayo coule comme de source, comme dans un véritable procès : « Nous nous en tenons à l’Accord du 31 décembre 2016 », soutient-il crânement.
Renégocier avant les élections
De ces postures plus ou moins modérées filtrent la vérité, selon plusieurs observateurs. « Parce que tout se passe comme si la classe politique aurait préféré débattre de l’évidence de l’impossibilité de l’organisation des élections aux dates projetées avec la CENI … à l’abri d’oreilles indiscrètes », fait observer au Maximum un politologue de l’Université de Kinshasa. Ou, encore pire, comme si les déclarations du président de la CENI à Genève et à Paris avaient fermé la porte de tels débats. Or, loin s’en faut, parce que vendredi 7 juillet dernier à l’OIF, Corneille avait fait expliqué que le point IV.2 de l’Accord de la Saint-Sylvestre « prévoyait certes que les parties signataires s’engageaient à l’organisation des élections au plus tard en décembre 2017, mais aussi que le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA qui n’est toujours pas mis en place), le Gouvernement et la CENI peuvent unanimement apprécier le temps nécessaire pour le parachèvement desdites élections ».
Débattre de la question n’est donc nullement exclu. Pas par toutes les parties prenantes (à l’exception notable des radicaux katumbistes du Rassop), en tout état de cause. A en juger par la réaction d’un membre de la Majorité au pouvoir sur l’avalanche des critiques qui pleuvent depuis le week-end dernier sur la CENI et son président. Le PPRD Christophe Kolomoni a estimé sur les mêmes antennes de Top Congo FM que les différentes critiques peuvent être portées à la table de négociations à la réunion attendue CENI-Gouvernement-CNSA. Sans qu’il ne soit indispensable de priver la centrale électorale qui est une institution indépendante aux termes de la Constitution sur laquelle est adossé l’accord du 31 décembre, de son droit de porter la vérité à la connaissance de l’opinion. « L’Accord n’a pas interdit à la CENI de communiquer sur l’évolution du processus électoral », assure au Maximum un député MP, signataire de l’Accord de la Saint Sylvestre. Il y a à l’évidence « à boire et à manger » sur cette polémique montée de toutes pièces.
Retour à l’avant 31 décembre 2016
La levée de boucliers autour de la déclaration du patron de la CENI révèle en fait que beaucoup dans la classe politique rd congolaise ne sont nullement prêts à affronter les urnes. A commencer par les radicaux katumbistes et non katumbistes comme Sindika Dokolo. Le rapport d’évaluation et d’assistance électorale de l’OIF, publié au terme d’une mission en RD Congo du 30 avril au 14 mai dernier, atteste de la duplicité de ceux qui s’abritent derrière les imperfections, vraies ou supposées, du processus d’enrôlement et d’enregistrement des électeurs en cours pour le décrier. « Si la population manifeste son engouement, sur le terrain, pour une reprise du processus électoral, à travers sa mobilisation pour l’enrôlement, la classe politique est pour sa part, peu représentée dans les centres d’inscription », écrivent les rapporteurs de la Francophonie sous la conduite du général Malien Siaka Sangaré. Le constat est loin de relever d’une posture littéraire parce qu’il est appuyé de chiffres probants, que les Moïse Katumbi, Félix Tshilombo, et autres Martin Fayulu auraient tout le mal du monde à démentir : la CENI n’a enregistré que 457 accréditations de témoins de partis politiques, soit un témoin pour environ 114 centres d’inscription. La conclusion de l’OIF est peu complaisante à cet égard, parce qu’elle note « un manque d’implication généralisé de la classe politique pour suivre les opérations d’enrôlement et regrette que les partis ne puissent apprécier et superviser la conduite même de ces opérations ». La société dite civile n’a pas fait bien mieux, puisqu’elle n’a accrédité que quelque 588 observateurs provenant de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), du Projet de Renforcement de l’Observation Citoyenne des Elections au Congo (PROCEC), de la Synergie des Missions d’Observation Citoyenne des Elections (SYMOCEL), de Agir pour des Elections Transparentes et Apaisées (AETA). On ne peut pas ne pas noter l’absence des biens braillards et fictifs « collectifs des 33 ONG » qui tirent à longueur de journées sur tout ce qui bouge vers l’organisation des scrutions électoraux en RD Congo sous la signature des avocats kinois Jean Claude Katende et Georges Kapiamba, en réalité des activistes de l’aile katumbiste de l’UDPS.
Ce que veulent les acteurs politiques, particulièrement ceux de l’opposition rd congolaise qui ruent sur les brancards contre la pseudo-révélation de Corneille Nangaa, ce n’est donc pas tant la tenue de quelqu’élection que ce soit mais un retour à la table des négociations politiques avant les prochains scrutins. Ou, plus concrètement encore, à la table du partage du pouvoir. Avant de solliciter le pouvoir du souverain primaire, en fait ! Il s’agit d’un retour à la situation politique d’avant la signature de l’Accord de la Saint Sylvestre, le 31 décembre 2016.
Bluffs subtils
Capturer le pouvoir par toutes autres voies qu’électorales ou partager le pouvoir avec la majorité issue des scrutins de 2011 avant les élections, c’est du pareil au même, en fait. Partisan de la première alternative, le Rassop/Katumbi ne ferme pourtant pas totalement la porte à un éventuel retour au statu quo ante qui lui permettrait de diriger le CNSA et briguer la primature de la période préélectorale. Le refus de toute négociation assorti d’appels à la mobilisation populaire claironné depuis quelques semaines par les Pierre Lumbi, Félix Tshilombo, Jean-Marc Kabund ou encore André Claudel Lubaya et son ex alter ego, Jean-Bertrand Ewanga, c’est une stratégie de la pression pour contraindre l’adversaire à renégocier une sorte de « paix des braves », estiment des observateurs. Tout autant que les appels à la démission de Corneille Nangaa, qui tentent de discréditer le processus électoral dans une tentative de remettre le partage du pouvoir en vigueur à plat.
Les véritables intentions politiques, en RD Congo, se dissimulent derrière au moins 2 bluffs principaux. Le 1er consiste en l’appel à l’organisation des élections et à l’alternance au sommet de l’Etat sans y prêter la moindre foi. Au lancement des opérations d’enrôlement à Kinshasa, fin mai dernier, la quasi-totalité des acteurs politiques avait appelé les kinois à l’enrôlement. Sans pour autant accréditer le nombre de témoins requis, pour la plupart d’entre eux. Des témoins chargés aux termes de la loi de guetter le moindre pépin organisationnel pour jeter l’opprobre sur l’ensemble du processus. A l’exemple de l’UNC Mayo Mambeke, pour qui le processus électoral serait vicié par la lenteur des enrôlements dans la capitale, quand bien même la CENI se vante d’avoir déjà enrôlé 33 millions d’électeurs sur les 41 millions attendus !
Le second bluff consiste à placer la barre de l’exigence des élections et de l’alternance au sommet de l’Etat très haut, voire trop haut : à de délais intenables comme cette obligation faite à la CENI de « publier le calendrier électoral à la fin du mois juillet », donc avant la fin de la reconstitution du fichier électoral ; ou encore d’organiser les scrutins avant fin décembre 2017.
Derrière les deux bluffs se glisse un troisième, plus sournois, qui consiste à présenter toute prolongation de délais électoraux comme équivalent à un mandat électoral, ou plus. Fixer la tenue de la présidentielle et des législatives à fin 2018, par exemple, est invariablement présenté comme un mandat supplémentaire offert au Président de la République en place. Sauf si ceux qui revendiquent les élections dans l’immédiat étaient parties prenantes au pouvoir décrié.
En réalité, des élections présidentielle ou législatives, peu en veulent dans la classe politique en RD Congo.
J.N.