Dans leur message du 23 juin 2017, des Evêques catholiques, abandonnant leur manteau d’apôtres de la paix entre les hommes ont décidé de se jeter dans la bataille pour le contrôle des espaces du pouvoir temporel en déclenchant ‘urbi et orbi’ «le moment historique (…) d’avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique…»
A défaut d’accéder aux statuts de la Cenco (sur son site officiel www.cenco.cd aucune indication ne s’y rapporte), on peut se contenter d’informations relatives à la « doctrine de la foi », celle-ci étant le fondement de l’action de toute confession religieuse. Ainsi, on apprend que « La Commission épiscopale pour la doctrine de la foi a pour objectif de suivre et de contrôler l’évolution de la doctrine théologique, d’en analyser et d’en évaluer les conclusions sur le plan pastoral » tout en étant chargée « en particulier de susciter les recherches et les études théologiques selon les besoins et les exigences de la situation missionnaire de l’Eglise ; favoriser l’éclosion d’une science théologique assumant valablement les valeurs socio-culturelles africaines; porter un jugement de valeur sur les livres théologiques édités au Congo; mettre en œuvre tous les moyens susceptibles d’atteindre les objectifs assignés ». Ayant aussi dans ses attributions l’étude de tous les problèmes de l’œcuménisme et du dialogue inter-religieux, la Commission épiscopale a entre autres missions de « promouvoir l’esprit œcuménique; étudier les possibilités de collaboration pour les traductions œcuméniques de la bible; assurer une information œcuménique et une documentation en ce domaine pour l’épiscopat; étudier les problèmes concernant les relations avec les religions non-chrétiennes »…
Nulle part n’apparaît donc la gestion de la Chose publique, domaine réservé exclusivement aux laïcs. Et depuis l’accession de la colonie belge à la souveraineté nationale et internationale les laïcs catholiques en République Démocratique du Congo ont toujours été aux affaires. Car avant l’accession du Congo à l’indépendance, l’administration coloniale avait géré l’héritage que Léopold II fit à son pays en 1908 de concert avec les sociétés à charte et l’Eglise catholique belge. D’où peut-être ces velléités interventionnistes du clergé catholique dans la gestion de la cité au pays de Lumumba. Quoiqu’il en soit, du 30 juin 1960 au 30 juin 2017, c’est-à-dire au cours de ces 57 ans d’Indépendance, la gouvernance institutionnelle est restée essentiellement entre les mains des laïcs.
Partant, il n’est pas intellectuellement honnête pour les cléricaux, au motif que «le pays va mal» de changer l’ordre normatif des choses pour se substituer aux acteurs politiques et appeler le peuple congolais à se lever comme un seul homme sans souligner la responsabilité du laïcat dans le bilan décrit, peu importe qu’il soit gouvernant ou opposant quand on sait que tous ceux qui ont eu à gérer le pays à une période ou à une autre portent une part de responsabilité dans ce tableau peu reluisant.
Dans la chronique intitulée «Avec la complicité du G7 : Vers une insurrection assumée par la Cenco ? », il a été clairement démontré la ressemblance entre les «états de la Nation» un communiqué de la plateforme katumbiste G7 du 20 avec le message de la Cenco du 23 juin 2017.
Lorsqu’on parcourt celui du G7, engageant Pierre Lumbi, Moïse Katumbi, Gabriel Kyungu, Christophe Lutundula, José Endundo et Olivier Kamitatu, tous des laïcs catholiques qui ont quitté la Majorité voici quelques mois, on peut parler de fuite en avant. Et lorsque la Cenco y implique ses propres laïcs de la Majorité, c’est aussi une fuite en avant. Une double fuite malheureusement couverte par les évêques censés pourtant être au milieu du village. Des évêques qui, hélas !, agissent exactement comme ces Pharisiens dénoncés dans Matthieu 23 : 4. «Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt», selon les mots de Jésus Christ.
Une politique discriminatoire
En vérité, l’attitude de la Cenco se caractérise par une constante : opposer et diviser ses propres enfants pour en tirer de substantiels dividendes.
On serait un peu surpris, mais l’Eglise catholique romaine pratique cette politique depuis l’Indépendance. A preuve : « Kasa-Vubu contre Lumumba », « Lumumba contre Mobutu », « Mobutu contre Tshisekedi », « Tshisekedi contre Lihau », « Tshisekedi contre Kengo » les uns au niveau des institutions de la République, les autres au sein des partis politiques. Tous des laïcs catholiques.
Peut-on, aujourd’hui, penser un seul instant que le catholique Aubin Minaku soit présenté par la Cenco comme faisant partie de la «minorité de concitoyens » ayant «décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais», sans que cela ne l’affecte ? Et que le non moins catholique Pierre Lumbi abonde dans le même sens en le mettant dans la «minorité des congolais qui, abusant de l’exercice, du reste illégitime, du pouvoir d’Etat, ont pris en otage la vie de toute une nation et ont privatisé les institutions de la République dans le seul but de satisfaire leurs intérêts égoïstes» ?
Les preuves de la récupération politicienne de la religion catholique abondent : du « je rentrerai au Congo si la Cenco me condamne » (sic !) lancé à la cantonade par un Moïse Katumbi empêtré dans des sales affaires judiciaires jusqu’à son habitude de se servir du pagne «Maman Légionnaire» comme nappe de table au cours de ses multiples conférences de presse à l’étranger…
Au-delà de politique discriminatoire qu’elle applique à ses ouailles selon que les unes doivent céder la place aux autres, et cela cycle après cycle, la Cenco semble avoir pour vision et visée de disqualifier en fin de compte la classe laïque politique congolaise de la gestion de la Res publica.
Et lorsque, dans son message « Le pays va mal. Debout Congolais », elle affiche ouvertement sa détermination à « avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique… » et considère cela comme un « moment historique », la réflexion sur ses intentions réelles est à pousser plus loin que la guéguerre entre la Majorité présidentielle et le Rassemblement de l’opposition.
Ayant longtemps opéré dans l’ombre – quasiment depuis l’Association internationale africaine fondatrice de l’Etat indépendant du Congo en 1908 – l’Eglise catholique romaine au Congo ex-Belge estime l’heure arrivée de prendre le taureau par les cornes en s’invessant directement dans la gouvernance institutionnelle. L’archevêque de Mbandaka-Bikoro, Mgr. Fridolin Ambongo que des laudateurs appellent déjà « Eminence » (il serait en passe de prendre bientôt le relais de Laurent Cardinal Monsengwo bientôt atteint par la limite d’âge) n’en fait plus un mystère.
Après tout, ce n’est pas pour rien que, profitant de la mission de bons offices qui lui a été confiée de bonne foi par le Président Joseph Kabila, la Cenco s’en est promptement affranchie pour s’autodéterminer en faisant faire de l’Accord du 31 décembre 2016 un instrument international se substituant à la Constitution comme source de légitimité et de légalité pour les Institutions de la République, devenues toutes « illégitimes » selon le texte que le futur Cardinal a fait lire à l’indolent Mgr. Marcel Uthembi, président en titre de l’épiscopat devant le monde entier au siège des Nations-Unies à New York !
Aujourd’hui, une bonne partie de l’élite laïque catholique semble ne pas réaliser la gravité de l’acte cautionné par la Cenco. Pourtant, c’est la souveraineté même du pays qui est atteinte. C’est le sang et les larmes des martyrs de l’Indépendance, de la Démocratie et surtout de la défense de l’intégrité du territoire national qui sont trahis !
Et lorsque la Cenco appelle à la tenue des manifestations publiques pour l’organisation, « coûte que coûte », des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017 au motif d’améliorer la situation économique et sociale, elle sait que les deux sujets n’ont aucun lien de cause à effet, à moins d’en tirer les ficelles.
Ce n’est pas la régularité de l’organisation des élections en Belgique, en France ou aux Etats-Unis qui résout la crise socioéconomique ! Autrement, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2017 aurait automatiquement fait grimper le taux de croissance.
Un agenda qui ne se cache plus
Pour revenir à la RDC, il est de notoriété publique que la publication du calendrier électoral par la Ceni est entièrement tributaire des exigences politiques, financières et techniques qui ne relèvent pas de sa compétence.
Pas plus tard que le 27 juin dernier, intervenant au cours du séminaire de formation et de sensibilisation des médias, Corneille Naanga a certes évoqué l’existence d’un projet de calendrier électoral (chronogramme) estimant raisonnable de projeter à novembre 2018 la première séquence du scrutin. Il a surtout rappelé que l’échéance technique pour la présidentielle « avait été arrêtée par les experts de la Communauté internationale, particulièrement ceux de l’OIF avec le général Sangaré, et ceux de la CENI lors du Dialogue de la Cité de l’UA en octobre 2016 » et que « les délais des différentes étapes de son canevas sont incompressibles », rapporte le site 7sur7.cd dans sa livraison du lendemain.
Trois jours plus tôt, échangeant avec la délégation de la Jeunesse de «Rassop/Limete», le président de la Ceni a soutenu le fait que « la non organisation ou la tenue des élections au plus tard décembre 2017 était prévisible depuis les discussions autour des évêques » et que dans cette éventualité, les parties prenantes avaient convenu non seulement de « l’organisation des élections en une seule séquence la présidentielle, législatives nationale et provinciale au plus tard décembre 2017 », mais aussi d’« apprécier consensuellement le temps nécessaire pour le parachèvement desdites élections avec le Gouvernement, le CNSA et la CENI ».
C’est ici le lieu de rappeler qu’en prévision du Dialogue de la Cité de l’Union africaine, plusieurs personnalités étrangères s’étaient prononcées au sujet des élections. Tel l’américain John Kirby qui avait annoncé le 16 septembre 2016 le soutien de son pas à un « dialogue inclusif dans la poursuite d’un consensus dans la poursuite d’un plan qui privilégie les élections présidentielles dès que techniquement possible pour assurer une transition pacifique du pouvoir politique ». Tel aussi le Conseil de sécurité de l’Onu qui avait relevé le 21 septembre de la même année « l’importance cruciale de la tenue d’une élection présidentielle pacifique, crédible, transparente, dans les délais opportuns et dans le respect de la constitution ».
En faisant fi de toutes ces considérations techniques, la Cenco doit avoir un agenda qu’elle veut accomplir. Celui, affiché, d’ « avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique… ». Pour cette raison, elle n’a nullement besoin d’une action insurrectionnelle. Elle doit attendre.
A moins, bien entendu, de vouloir susciter un soulèvement à la libyenne ou à la burkinabé. Dans ce cas, elle doit s’attendre comme dans toute Révolution, que celle qu’elle prépare fébrilement « manger » certains de ses propres enfants laïcs…
Omer Nsongo die Lema avec Le Maximum