Vendredi 23 juin 2017 s’est clôturée à Kinshasa la 54ème session de l’Assemblée plénière des évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), ouverte 4 jours plus tôt. Une session qui intervenait près d’un trimestre après la fin en demi-teinte des négociations du Centre interdiocésain conduits par un groupe de prélats de l’église catholique romaine depuis fin mars dernier. Dont les conclusions auront lourdement impacté les travaux cléricaux, nonobstant les circonlocutions dans lesquelles le porte-parole de l’épiscopat, le très politique Abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la CENCO (dont on dit qu’il est un membre influent du Rassemblement aile Katumbi), a tenté de noyer la déclaration rendue publique à l’issue des travaux. Les évêques ont sans ambages pris position contre le pouvoir en place, de même qu’ils ont annoncé, avec les mêmes mots que les plus extrémistes radicaux de l’opposition rangés sous la bannière du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, l’apocalypse pour décembre prochain. Une évidence qui n’a pas échappé aux observateurs avertis, à l’exemple de nos confrères du quotidien bruxellois La Libre Belgique que l’on sait peu enclins à faire des cadeaux à la majorité au pouvoir à Kinshasa et qui ont titré le week-end dernier : « Les évêques se repositionnent face au pouvoir de Kabila ».
Les prélats qui dirigent l’Eglise catholique romaine de la RD Congo ont donc manifestement fait le choix, très humain, de prendre leur revanche sur Joseph Kabila, non sans exposer les défauts de la cuirasse.
Communication cléricale exclusivement politique
A l’intention de l’opinion, leurs excellences se sont fendues d’une communication exclusivement politique, « comme si elles tenaient encore le rennes des joutes avec les acteurs politiques », ainsi que l’a fait observer un membre du gouvernement central, chrétien catholique très engagé, pourtant. « Le Pays va très mal. Debout, Congolais ! », le titre du message rendu public au début du week-end dernier, est tout sauf un appel à une solution d’apaisement ou de convivialité pour résoudre les problèmes du pays, et trahit le degré du parti pris politique des princes de l’Eglise catholique. Comme en 1960, lorsque leurs précurseurs belges qualifiaient Patrice Emery Lumumba de dangereux communiste à éliminer à tout prix.
La 54ème session de l’Assemblée plénière des évêques catholiques avait pourtant traité de questions relatives à la situation socio-pastorale du pays, à la présentation des rapports synthèse des commissions épiscopales, au projet d’éducation civique et électorale, au Guide de l’Apostolat des laïcs, au Guide pour la nouvelle évangélisation, au livret catéchétique de la famille chrétienne, au plan triennal de l’éducation, au synode des évêques sur les jeunes, aux statuts du sanctuaire Bienheureuse Anuarite, au statut du Renouveau Charismatique, à la convention entre l’Etat congolais et la CENCO en matière de santé … autant de questions sur lesquelles les chrétiens catholiques auraient aimé en savoir davantage sur les cogitations de leurs pasteurs. Mais qui ont été banalisées au profit des épanchements politiciens des calottes sacrées : les évêques ont carrément mis sous le boisseau catéchèse et pastorale et sont montés sur les barricades du combat politique contre le régime de Joseph Kabila et sa majorité.
Soutanes … retournées
Vendredi 23 juin, les évêques catholiques ont retourné … leurs soutanes. « Le Pays va mal … », c’est tout le contraire de « Choisis la vie afin que tu vives toi et ta postérité », leur précédent appel, lorsqu’ils invitaient, le 8 décembre 2016, les mêmes chrétiens et hommes de bonne volonté rd congolais à ne pas mettre le feu à la maison commune. Des chrétiens catholiques, un tantinet déboussolés depuis le week-end dernier, se rappellent qu’à l’ouverture du dialogue du Centre interdiocésain de Kinshasa, Mgr Marcel Utembi, Archevêque de Kisangani et président en exercice de la CENCO, s’était appuyé sur le message du Pape François aux rd congolais encourageant « … chacun, en particulier les responsables politiques et religieux, à initier ou à poursuive toute action visant à construire des ponts entre … (eux), et non pas des murs ; à instaurer dans la société congolaise une culture du dialogue qui vous fasse mieux connaître et mieux vous aimer », pour en appeler à des comportements plus constructifs que destructifs. Il n’en est dorénavant plus question : le recto des soutanes cléricales est de toute évidence dégoulinant de perspectives apocalyptiques, les unes aussi menaçantes pour l’humanité que les autres, plus proches de l’antre de la géhenne que du paradis terrestre.
Entre autres parce que les évêques catholiques ont pris sur eux d’arborer des lunettes très pessimistes de l’alarmisme dont se sert une opposition politique radicale rd congolaise chauffée à blanc pour lire la situation socio-politique du pays et appeler à une véritable « guerre sainte » contre le pouvoir en place. Mgr. Fridolin Ambongo, Archevêque de Mbandaka Bikoro qui n’a jamais fait mystère de sa détestation de Kabila en avait fait entrevoir les prémisses à la fin des discussions du Centre interdiocésain en annonçant un « Plan B », en cas de non application intégrale des résolutions contenues dans l’accord de la Saint Sylvestre. On sait maintenant à quoi ce belliqueux prélat Ngbaka pensait…
Tous les péchés d’Israël
L’instabilité économique, le recul du taux de croissance, la dépréciation de la monnaie nationale (le Franc Congolais) face aux devises étrangères, la morosité du climat des affaires, la corruption, l’évasion fiscale … des phénomènes aussi vieux que le monde en RD Congo, sont opportunément remis sur le dos des animateurs du pouvoir en place, exclusivement. Comme s’ils dataient d’aujourd’hui. Comme si les 32 ans de la Deuxième République du dictateur Mobutu avaient été un long fleuve tranquille empreint de prospérité… « Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif », assènent leurs excellences. Les évêques ajoutent que « par conséquent, le pouvoir d’achat a sérieusement baissé au point que les familles peinent à joindre les deux bouts … les conditions de vie sont devenues plus que précaires … ». Ils dénoncent la sous-alimentation, l’incapacité à accéder aux soins de santé primaire et à la scolarité, l’explosion du chômage, etc, tous décrits comme des phénomènes nouveaux, nés de l’échec des négociations entreprises fin décembre dernier sous l’entregent clérical.
Dans « Le Pays va mal. Debout Congolais ! », le parti pris clérical en faveur des radicaux de l’opposition politique en RD Congo prend les traits d’une communion parfaite. Au plan sécuritaire dans les provinces kasaiennes, les évêques catholiques annoncent que « Après neuf mois de conflit, il nous a été signalé à ce jour plus ou moins 3.383 morts, 30 fosses communes, plus d’un million de déplacés internes et 30.000 réfugiés en Angola ». Des chiffres macabres 8 fois supérieurs à ceux des autorités locales et de la MONUSCO, pourtant mieux outillés à cette fin. Mais qui sont presque les mêmes que ceux rendus publics fin mai dernier par … un certain Delly Sessanga, député de Luiza dans la province du Kasai Central et un des acteurs politiques les plus zélés de l’opposition katumbiste.
Sermon apocalyptique
Le point culminant du sermon apocalyptique des évêques de la CENCO, c’est sans doute leur réponse à la question « D’où vient la crise actuelle ? ». Elle tombe comme un véritable couperet : « La situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise socio-politique due principalement à la non-organisation des élections conformément à la Constitution de notre pays », énoncent péremptoirement les évêques.
Des obstacles placés sur la voie de la tenue de ces élections par les radicaux de l’opposition qui ont systématiquement dénoncés tous les calendriers électoraux proposés depuis feu l’Abbé Apollinaire Malumalu, aucune allusion dans le brûlot des princes de l’église. Ni, encore moins, des articles de la constitution congolaise à laquelle ils font pourtant allusion, qui confient la tâche de l’organisation desdites élections à la seule Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), de même qu’elle stipule qu’en attendant leur tenue, le Président de la République reste en place jusqu’à son remplacement par un nouveau président élu.
Les évêques de l’église catholique romaine de la RD Congo, convaincus que l’accord qu’ils avaient réussi à arracher à 32 protagonistes de l’arène politique nationale fin décembre dernier est la panacée, la seule voie qui mieux que la constitution, montre la voie à suivre pour gagner le paradis : « Chers frères et sœurs, regardons où nous risquons d’aller. Le pays va très mal. Mettons-nous debout, dressons nos fronts encore courbés et prenons le plus bel élan (…) pour bâtir un pays plus beau que celui d’aujourd’hui (cf. L’hymne national congolais). Il est impérieux de nous impliquer nous-mêmes, de prendre notre destin en main, sinon notre avenir sera hypothéqué pour longtemps », décrètent-ils. Exactement comme le font depuis quelques semaines leurs affidés de l’opposition radicale qui appellent les rd congolais « à se prendre en charge » pour exiger des élections au plus tard en décembre 2017. « La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que le prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016 », écrivent les prélats catholiques. Ce en quoi ils commettent une véritable supercherie, par usurpation de qualité, parce que seule la CENI est habilitée, selon la constitution en vigueur et les lois de la République, à fixer les échéances électorales. Ils mentent aussi, parce que le fameux accord politique du 31 décembre 2016 stipule que les signataires doivent en référer à la même CENI pour se prononcer sur la question.
« Le Pays va mal. Debout, Congolais », c’est tout simplement un appel à l’insurrection dont les évêques n’avaient cessé de menacer les autorités en place dans le pays en son temps : un appel à la révolte populaire contre Joseph Kabila et sa majorité au pouvoir en RD Congo.
J.N.Le Pays va très mal