Les auteurs, matériels et spirituels, des poursuites annoncées au milieu de la semaine dernière à Bruxelles contre Alexis Thambwe Mwamba, le ministre rd congolais de la justice, auront ouvert une véritable boîte de pandore. Derrière l’affaire de l’avion de ligne de Congo Airlines (CAL) abattu par un missile Sam 7 en octobre 2008 non loin de Kindu au Maniema manoeuvrent, en réalité, tous les responsables des agressions militaires subies par la RD Congo depuis la fin des années ‘2000, que nul en Occident n’a jamais osé dénoncer. L’affaire Thambwe Mwamba est donc, de l’avis de nombreux observateurs, l’arbre qui cache une gigantesque forêt. Ceux qui se sont réjouis, un peu trop vite à l’évidence, des tracas judiciaires de l’avocat kinois et ministre d’Etat rd congolais en charge de la Justice, sont sûrement allés un peu vite en besogne. Il apparaît, moins d’une semaine après l’ébruitement des informations sur la procédure à l’encontre du plénipotentiaire rd congolais, qu’à la limite, l’homme ne devrait pas couler seul, si tant est qu’il devrait « couler ».
Réactions
Depuis le week-end dernier, en effet, la toile grouille de réactions sur l’exhumation de l’affaire du Boeing de la compagnie d’aviation de José Endundo Bononge abattu au décollage de Kindu le 18 octobre 2008, avec à son bord une cinquantaine de passages, des civils essentiellement. De la Belgique d’où l’affaire est partie, la presse insiste particulièrement sur le fait que femmes et enfants comptaient parmi les passagers qui ont trouvé la mort en tentant de fuir les troupes de la rébellion du RCD/Goma, pro Kigali en fait, créée quelques mois plus tôt en août de la même année. Probablement pour mettre en avant la pertinence supposée des poursuites diligentées au titre de crime contre l’humanité. Même si, chacun le sait en RD Congo, de crime contre l’humanité durant les guerres imposées aux rd congolais ces 20 dernières années, il y en a à la pelle.
Dossier complexe
En réalité, l’affaire, bien plus complexe qu’on ne veut l’admettre, pourrait bien se terminer en eau de boudin, comme on dit, ou tirer en longueur ad aeternam, faute de pouvoir établir toute la trame des responsabilités.
Il y a d’abord un problème de qualification de l’infraction de crime contre l’humanité. Elle ne se décrète pas comme parole d’Evangile. Certes, abattre un avion civil ayant à son bord des innocents peut relever du crime contre l’humanité, que l’on sait imprescriptible par définition. Mais dans l’affaire du Boeing de CAL, si l’aéronef avait bien des civils à son bord au décollage de Kindu le 18 octobre 2008, il n’est pas exclu qu’il ait servi à convoyer armes et munitions vers cet aéroport d’importance stratégique par rapport au foyer de l’insurrection militaire d’août 2008, situé dans l’ex Kivu. Des sources parmi les anciens du RCD/Goma, l’affirment, et semblent pouvoir le prouver en cas de besoin. Rien que sur cette question de la qualification de la nature du crime de 2008, beaucoup d’encre et de salives devraient encore couler.
Responsabilité partagée ?
Mais il y a aussi la question, toute aussi complexe, de la responsabilité réelle de Thambwe Mwamba dans la destruction du Boeing de CAL. C’est devenu un secret de polichinelle : tout le monde sait que la prise des décisions militaires échappait complètement aux cadres politiques rd congolais des rébellions pro-Kigali et pro-Kampala. « Le choix des villes à attaquer et même des heures d’attaques relevaient strictement du commandement militaire ougandais », confie au Maximum un ancien du RCD/K/ML, l’ex. mouvement rebelle dirigé par Antipas Mbusa Nyamuisi et soutenue par Kampala. L’homme assure que même la scission des mouvements rebelles soutenus en micro-rébellions était l’œuvre de la hiérarchie militaire UPDF (l’armée ougandaise). Un autre ancien ex cadre rebelle, du RCD/Goma celui-là, qui s’est confié à nos rédactions sous le sceau de l’anonymat, préfère ironiser : « il faut être naïf jusqu’à la moelle pour croire que les Rwandais pouvaient demander notre avis avant d’ouvrir le feu à Kindu ou capturer le barrage hydroélectrique d’Inga … », déclare-t-il.
Etablir la responsabilité de Thambwe Mwamba sera donc laborieux, qu’on aime ou qu’on déteste le ministre d’Etat en charge de la justice du gouvernement Bruno Tshibala Nzenzhe. Juriste averti, l’homme s’est emmuré dans un silence plutôt éloquent. A des confrères qui ont tenté de l’interroger, Alexis Thambwe Mwamba a déclaré qu’il se conformait aux usages en Belgique, qui veulent qu’un accusé ne s’adresse pas à la presse à cette étape de la procédure à son encontre. Mais son avocat, Me Kennes, s’est exprimé le week-end dernier. Son client « ne disposait ni d’une autorité, ni de compétence militaire au sein du mouvement RCD. Il était responsable des relations extérieures et a été informé, après le crash, de celui-ci. Il s’est borné à informer le public, pour le compte du RCD, des raisons pour lesquelles des militaires de ce mouvement avaient tiré un missile sur l’avion. Il n’a donc posé aucun acte en lien avec cet événement dramatique », a-t-il affirmé. Une déclaration qui a le don de lever un coin de voile qui ouvre sur d’interminables ramifications au sein du RCD/Goma et même au-delà, vers les véritables créateurs du mouvement rebelle contre Mzee Laurent-Désiré Kabila.
Trois directions
La ligne de défense révélée par Me Kennes indique au moins trois directions vers lesquelles pourraient s’orienter les investigations judiciaires. D’abord, la direction politique du mouvement rebelle « pour le compte … » duquel Alexis Thambwe avait pris la parole ; il était dirigé à l’époque par Ernest Wamba dia Wamba, secondé de feu Arthur Z’Ahidi Ngoma et Moïse Nyarungabo. Vincent de Paul Lunda Bululu, en soins médicaux en Belgique depuis de longues années, était responsable de l’exécutif du mouvement rebelle, qui comprenait aussi le Dr Emile Ilunga Kalambo, Jacques Depelchin, Delly Sessanga (aujourd’hui ténor du “Rassemblement” créé de toutes pièces par… la Belgique), Shambuyi Kalala, Honoré Kadima, Mbusa Nyamuisi, etc. Ensuite, les « … militaires de ce mouvement (qui) qui avaient tiré un missile sur l’avion … » ; l’armée du RCD/Goma était dirigée à l’époque par l’ancien Lieutenant devenu Général, Jean-Pierre Ondekane, tout au moins de façade. Parce que, c’est devenu un secret de polichinelle aussi, tout le monde sait que c’est au Général rwandais James Kabarebe, ancien chef d’Etat-Major Général de l’armée rd congolaise congédié sans ménagements par Mzee Laurent-Désiré Kabila, que l’on doit les principaux exploits de la nouvelle rébellion, dont le raid sur Kitona et la prise du barrage d’Inga dans la province du Kongo Central ; c’est la troisième direction que pourraient prendre les investigations dans le dossier Thambwe Mwamba. S’il dépassait le cap d’un épouvantail destiné à embarrasser les animateurs du pouvoir en place à Kinshasa, comme les fameuses sanctions ciblées prises à l’encontre de certaines autorités militaires et politiques …
J.N.