L’Union Européenne (UE) a franchi le Rubicon dans ses relations avec les Etats Africains en confirmant, lundi 29 mai 2017, des sanctions dites ciblées contre 9 personnalités rd congolaises. Une décision qui porte à
16 au total le nombre des responsables politiques, militaires et des services de sécurité visées par des mesures d’interdiction de séjour sur le vieux continent et de gel d’avoirs.
D’abord, parce que du point de vue du droit international qui gère les relations entre Etats depuis la fin de la seconde guerre mondiale, seul le Conseil de sécurité des Nations-Unies est habilité à prendre des sanctions contre un Etat ou ses préposés, et ce à certaines conditions précises, notamment, qu’il n’y soit pas opposé de véto formel. Les ambassadeurs européens réunis à Bruxelles ont, à cet égard enfoncé le clou en contournant la législation internationale en la matière, pour les besoins de la cause d’un quarteron de mercantilistes belges décidéd à en découdre avec le président Joseph Kabila. Ces derniers n’étaient pas en effet sûrs d’emporter l’adhésion de l’ensemble des membres du conseil de sécurité des Nations-Unies. Exactement comme il y a quelques années, lorsque les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France d’un certain Nicolas Sarkozy, avait décidé de rayer la Libye de Mouammar Kadhafi et son leader progressiste de la carte du monde en allant jusqu’à faire assassiner ce dernier dans des conditions particulièrement atroce.
Les sanctions européennes, prises le 12 décembre 2016 et le 29 mai 2017 l’ont donc été au mépris des principes du droit international. Elles marquent un tournant qui consacre un retour en arrière de plusieurs siècles et ré inaugurent les ères de la traite esclavagiste et du colonialisme. Sans doute aussi, d’élans de résistance des Etats et peuples victimes qu’appellent ce type de traitement méprisant qui constitue une grave entorse au respect du droit et de la dignité due à l’être humain, quel qu’il soit et où qu’il se trouve.
Instance supraétatique
Ensuite, parce que les Etats européens s’érigent carrément en une sorte d’instance supra gouvernementale chargée de régenter la vie politique, économique et sociale à travers le monde au nom de principes égocentriques iniques unilatéralement appliqués. C’est le retour à la diplomatie de l’injonction colonisatrice que traduisent les décisions de l’UE à l’encontre des autorités d’un Etat indépendant, qui trace une croix indélébile sur la notion même d’indépendance et de souveraineté. Le ton extrêmement comminatoire du communiqué signé par les ambassadeurs européens lundi 29 mai dernier ne laisse planer aucun doute à ce sujet : l’UE « exhorte les autorités de la RDC à agir dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à initier sans retard des enquêtes sérieuses et transparentes, en parallèle d’une expertise internationale de haut niveau pour renforcer leur crédibilité et indépendance, et qui puissent identifier les responsables des actes de violence et des massacres. Elle souligne la nécessité que la MONUSCO puisse pleinement exercer son mandat et que l’accès des acteurs humanitaires aux régions touchées par la crise soit garanti. L’UE reste également préoccupée par les restrictions persistantes sur l’espace démocratique et les droits fondamentaux, notamment les restrictions sur les médias et l’interdiction des manifestations », martèlent-ils au sujet de ce qu’ils considèrent comme une détérioration de la situation et un « usage disproportionné de la force » dans la gestion de la crise kasaïenne, particulièrement.
Gestion de la crise kasaïenne ? Il s’agit de mesures de neutralisation d’un mouvement terroriste à caractère tribal créé à l’initiative d’un chef coutumier de la région, qui a détruit, pillé et tué indistinctement tout ce qui ne s’apparentait pas à la tribu locale. Parallèlement à des mesures longuement et patiemment négociées avec les responsables coutumiers locaux, le gouvernement rd congolais avait déployé dans les provinces affectées par le terrorisme Kamwina Nsapu des forces de l’ordre pour y rétablir la paix ainsi gravement perturbée. Ce sont ces forces que les Européens accusent d’usage disproportionné de la force, contre des égorgeurs. Un peu comme si les forces de police et de l’armée chargées de missions analogues contre les terroristes poseurs de bombes en France et en Belgique ou en Grande Bretagne étaient accusées de faire un « usage disproportionné de la force »…
Dans la réalité, c’est le droit de rétablir la paix à l’intérieur du territoire national, et donc le droit de gérer souverainement les crises qui y surviennent, qui est ainsi dénié aux autorités rd congolaises. Au nom de fallacieux principes de droit supra-étatiques qui, en réalité, servent à l’émergence de non-Etats sur le continent noir. L’allusion au rôle de la Monusco et les appels récurrents à des « enquêtes internationales », une condition pour que les initiatives nationales en la matière acquièrent crédibilité, illustrent les arrière-pensées européennes. En même temps, cela saute aux yeux, qu’elles compromettent toute souveraineté réelle de la RDC.
Négation des réalités politiques locales
L’UE « rappelle la nécessité pour une sortie de crise durable, que la transition aboutisse dans les meilleurs délais à la tenue d’élections transparentes et démocratiques, dans le respect de la Constitution et de l’Accord Politique du 31 décembre 2016. La mise en place de bonne foi des institutions de transition réellement inclusives et la mise en œuvre rapide des mesures de décrispation sont particulièrement nécessaires, car fondamentales pour un environnement électoral ouvert et apaisé. Un espace d’expression et de débat sans entrave est indispensable pour permettre aux citoyens de se prononcer librement en vue des élections », selon la déclaration du Conseil européen, qui piétine allègrement la constitution et les lois rd congolaises. Qui ne prévoient nullement de « période transitoire » au terme de quelque mandat électif que ce soit. Même si de telles hérésies sont plus que caressées, par un certain nombre d’opposants liés aux intérêts des néolibéraux au pouvoir en Belgique auxquels ils servent de faire valoir.
L’impossible inclusivité parfaite que l’UE veut imposer en RD Congo exprime une sorte de négation et de contestation des réalités politiques locales. Elle consiste en l’intégration dans les rouages du pouvoir d’extrémistes de l’opposition locale qui représentent et défendent les intérêts politiques et économiques de leurs amis belges. Parce qu’en fait d’inclusivité, au terme de deux dialogues politiques tenus à la cité de l’OUA sous l’égide de l’Union Africaine, et au Centre interdiocésain de Kinshasa sous l’égide des évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), tous ceux pour qui le problème de légitimité des institutions se règle par la tenue des élections ont intégré les institutions de la République. Etant entendu, selon les lois rd congolaises, que c’est l’élection d’un nouveau président de la République qui sanctionne le changement au sommet de la pyramide étatique. Et non pas quelqu’inclusivité politique que ce soit, aussi parfaite fut-elle. C’est l’unanimisme chimérique de nature à phagocyter toute réelle démocratisation, estiment certains observateurs au sujet de cette injonction auropéenne.
Protestations
Sur le continent et en RD Congo même, des voix se sont aussitôt élevées pour critiquer la nouvelle saillie paranoïaque des européens manipulés par la Belgique. En commençant par l’Angola, dont le ministre des affaires étrangères, M. Shikoti, a estimé lundi 30 mai 2017 que les sanctions européennes étaient rien moins que « prématurées ». L’homme d’Etat du pays d’Edouardo Dos Santos s’exprimait à l’occasion d’un séjour à Kinshasa dans le cadre de la réunion du groupe de suivi de l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba, conclu sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations-Unies et dont un important volet est précisément consacré à la situation politique interne en RD Congo.
En RD Congo, le gouvernement a promis une réponse appropriée aux sanctions européennes. « Nous ne pouvons rester indifférents à ces sanctions injustes qui ne respectent en aucun cas la souveraineté de la RDC. Il y aura une réponse appropriée à ces sanctions », a déclaré à Politico.cd un membre du cabinet du vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, Léonard She Okitundu. Jusqu’au moment où Le Maximum mettait sous presse, lundi 1er juin 2017, aucune décision n’avait été rendue publique, probablement parce que l’affaire est prise très au sérieux. Et que le président de la République était toujours absent de la capitale. Des sources crédibles rapportent qu’aussitôt les fameuses sanctions ciblées ébruitées à Kinshasa, au milieu de la semaine dernière, Léonard She Okitundu avait convoqué les ambassadeurs européens en poste à Kinshasa pour en avoir le cœur net, avant d’effectuer un important déplacement en Afrique du Sud.
Des sources font état de possibles soutiens belges à l’action criminelle du député Clément Kanku Bukasa. En effet, Bruxelles aurait organisé une fuite d’information de sa liste des sanctions des officiels congolais avec mention “implication à la répression du Kasaï”, concomitamment à l’annonce par Kinshasa qu’il tenait un des suspects du chaos kasaïen en la personne du député Clément Kanku. Alors que les enregistrements d’écoutes des conversations téléphoniques de Kanku publiés par le quotidien américain “The New York Times“, sont formels sur son implication dans le chaos kasaïen, ce dernier n’a curieusement pas été épinglé par les sanctions de Bruxelles. La fuite d’informations de la liste des sanctionnés et sa confirmation ont eu pour mérite avec les noms du Vice Premier ministre et ministre de l’intérieur Emmanuel Ramazani Shadari (qui est parvenu à mettre les différentes parties autour d’une table des discussions) ainsi que le nom du Ministre de la Communication et Médias, Lambert Mende, Porte-parole du Gouvernement (dont le verbe incisif fait les délices des patriotes congolais et des panafricanistes et énerve les néocolonialistes belges et leurs affidés), de créer le flou, l’émoi, et finalement à désorienter l’opinion sur ce drame kasaïen. Pareille désorientation de l’opinion ne peut que profiter au député Kanku pourtant formellement identifié grâce aux écoutes téléphoniques comme acteur majeur dans cette crise.
Le soutien de Bruxelles à Kanku s’inscrit dans la logique des choses. Un analyste averti fait remarquer que le parti MR de Kanku est lié au MR dirigé par les libéraux Belges qui soutiennent le fugitif ex. gouverneur du Katanga Moise Katumbi. Clément Kanku était déjà connu pour avoir ses entrées chez le député européen belge Louis Michel depuis l’époque où l’ancien secrétaire national adjoint de l’Udps Tshisekedi, Dori Dumbi, un factotum de Louis Michel, dirigeait le MR aile Kanku. La précipitation à publier et à faire adopter les sanctions par l’Union Européenne contre des personnalités pro-gouvernementales congolaises (à l’exception du chef de guerre Gédéon Kyungu, au lendemain de la publication par “The New-York Times”, des conversations téléphoniques du député Kanku incitant au meurtre et au chaos dans le Kasaï, cache mal la fébrilité qui s’est emparée de la Belgique, Etat membre de l’UE qui a joué un rôle moteur dans cette pantalonnade.
Et les exploitants occidentaux du coltan du sang ?
En attendant, une fois n’est pas coutume, c’est des rangs de l’opposition politique nationale qu’est partie la plus cinglante et pertinente des critiques vis-à-vis des européens. Le Dr Alexis Mukwege, gynécologue à l’hôpital de Panzi au Sud Kivu, connu aussi bien pour ses interventions en faveur des femmes victimes de viols dans son pays que pour son aversion à l’encontre du pouvoir en place à Kinshasa, a en effet vertement reproché à l’Union Européenne son mutisme concernant les sanctions à appliquer contre les responsables occidentaux de l’exploitation des minerais de sang au Kivu, le coltan, principalement. Des enquêtes internationales, dont celles menées par des experts des Malgré les multiples révélations des enquêteurs des Nations-Unies sur la responsabilité certaines entreprises occidentales dans l’exploitation du coltan et donc dans le financement des groupes armés qui déstabilisent l’Est rd congolais et massacrent des populations civiles innocentes. Aucune sanction n’est venue et pire, les donneurs de leçons de respect des droits de l’homme occidentaux refusent de ranger ce minerai hautement stratégique parmi les minerais de sang dont il faut au préalable s’assurer de la traçabilité. Loin s’en faut : « on ne tue pas la vache qui produit le lait », dit un adage qui semble d’application universelle. Une entreprise américaine a récemment annoncé la construction d’une usine de traitement de coltan au Rwanda voisin, pays ne disposant pourtant d’aucune ressource naturelle de ce minerai exclusivement rd congolais. C’est tout dire.
Face aux visées hégémonistes de type schéma Libyen, que l’Union Européenne veut appliquer en RD Congo, il ne reste plus aux rd congolais qu’une seule alternative : affûter les armes de la résistance la plus farouche et la plus longue et pousser ses instigateurs à opérer à ciel ouvert, pour ainsi dire, et y résister de toutes ses forces, encore et toujours. Jusqu’à ce que l’humanité toute entière s’émeuve et se révolte de ce reniement de ses valeurs universellement reconnues et les plus sacrées.
J.N.
SANCTIONS CIBLEES CONTRE DES PERSONNALITES EN RD CONGO : Schéma libyen pour la RDC
