Dans les provinces kasaïennes de la RD Congo, l’enfer dure depuis 2016 et se fait appeler Kamwina Nsapu. C’est le titre traditionnel accolé au chef coutumier d’un groupement de quelques villages, en territoire de Dibaya dans la province du Kasaï Central dont le chef-lieu est Kananga. Mi-2016, un prétendant au trône, Jean-Pierre Mpandi, un tradi-praticien (guérisseur) séjournant régulièrement en Afrique du Sud, se révolte contre le retard mis par les autorités nationales (ministère de l’Intérieur et affaires coutumières) à officialiser ses droits successoraux, et décide de se faire justice. Il monte une milice qui s’en prend systématiquement à tous les symboles du pouvoir central, particulièrement aux installations de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), dès le 1er trimestre 2016.
Informées de la création de ce qui s’apparente à une rébellion interne, les autorités judiciaires locales diligentent une perquisition au foyer insurrectionnel situé autour de l’agglomération de Tshimbulu où se situent les villages Kamwina Nsapu. Des événements qui surviennent en l’absence Jean-Pierre Mpandi, retourné en Afrique du Sud, et provoquent l’escalade. Revenu en catastrophe au pays, le prétendant au trône exhorte « tous les jeunes, mus par une fibre révolutionnaire, de défendre le sol congolais contre la présence des mercenaires étrangers et leur gouvernement d’occupation », selon des informations de France 24. « Mercenaires étrangers », « gouvernement d’occupation », la rhétorique, très usitée dans les milieux anti kabilistes d’une certaine diaspora qui l’utilisent pour diaboliser les tombeurs de Mobutu, donne le ton : les miliciens Kamwina Nsapu s’en prendront indistinctement à tout ce qui symbolise le pouvoir de Kinshasa et, chemin faisant, à tout ceux qui ne sont pas ressortissants des provinces issues des espaces lubaphones des anciennes provinces du Kasai Occidental et Oriental.
Des barricades autour de son village
A Dibaya, où se trouve le fief des Kamwina Nsapu, l’enfer prend corps en août 2016, lorsque Jean-Pierre Mpandi fait ériger des barricades autour de son village et dans les environs immédiats de Tshimbulu. Le 8 août, une attaque attribuée à la milice Kamwina Nsapu fait 9 morts, selon le maire de Tshimbulu, une importante et stratégique gare ferroviaire qui relie le Kasaï Central à l’ancienne province cuprifère du Katanga. L’affaire prend des proportions sérieuses et inquiétantes, parce qu’il suffirait que Tshimbulu soit « pris » pour que l’économie de la RD Congo, largement tributaire de sa production minière, en prenne un sérieux coup.
Le gouvernement décide de mettre un terme à la rébellion-insurrection armée naissante en expédiant des renforts policiers dans la région. Jean-Pierre Mpandi fait plus que de la résistance et affronte carrément les forces de l’ordre à la tête de miliciens drogués grâce à la cocaïne ramenée d’Afrique du Sud et sommairement armés. Le 12 août 2016, le prétendant au trône est tué au cours d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui font 19 morts (11 policiers et 8 miliciens). Et c’est parti : l’insurrection Kamwina Nsapu se répand comme une traînée de poudre, dans la région de Tshimbulu d’abord, avant de gagner progressivement le reste de la province du Kasaï Central, dont le chef-lieu, Kananga, et de déborder sur les autres provinces riveraines.
Invincibilité, invulnérabilité factices
En fait, au Kasaï Central, les jeunes miliciens initiés aux pratiques mystiques et drogués sont convaincus de leur invincibilité, ainsi que de l’immortalité de leur mentor, Jean-Mpandi, qu’ils refusent de croire enterré à Kananga pour de bon. Ils s’estiment donc fondés de poursuivre son combat libérateur et ne désarment point. Ils sont partout et nulle part à la fois : un témoin de retour de Kananga confie au Maximum avoir été abordé, au détour d’un débit de boissons, par un jeune homme d’une quinzaine d’années, qui lui propose d’assurer sa protection. « Nous vous suivons pas à pas depuis votre arrivée de Kinshasa. Heureusement que vous êtes des nôtres, parce que vous avez pris une femme de chez nous », lui confie-t-il.
En réalité, l’insurrection Kamwina Nsapu est récupérée par quelques acteurs politiques originaires de la province du Kasaï Central manifestement opposés à la Majorité Présidentielle au pouvoir à Kinshasa. Des noms sont avancés, des élus locaux sont cités, mais ces révélations restent du domaine du secret. Personne n’ose encore les dénoncer, secret de l’instruction pré-juridictionnelle oblige. Récemment encore, au cours d’un point de presse retentissant à Kinshasa, le Vice premier ministre et ministre en charge de l’intérieur sortant, le PPRD Ramazani Shadary, dénonce « l’implication d’acteurs politiques kasaïens dans la survie et l’expansion de l’insurrection Kamwina Nsapu ». Mais l’homme qui met en oeuvre une résolution pacifique du conflit Kamwina Nsapu n’ose pas, non plus, avancer le plus petit nom.
Il est symptomatique en effet que rares sont les acteurs politiques originaires des provinces ravagées qui ont dénoncé ouvertement l’insurrection Kamwina Nsapu. Même le clergé catholique, dont les installations cultuelles et de formation de renommée nationale comme les grands séminaires de Malole et de Kabwe, ont été sauvagement vandalisées par les insurgés il y a quelques mois est restée coi. Dans l’affaire Kamwina Nsapu, il sourd comme une compassion et une complicité de certaines élites originaires de la province du Kasaï Central. Rien à redire. Même lorsque les miliciens s’illustrent par des « faits d’armes » d’une indicible cruauté comme les décapitations filmées de leurs victimes.
Faits d’armes déplorables
Le 12 mars 2017, deux experts onusiens et leurs accompagnateurs rd congolais dans la région sont portés disparus. Près de trois semaines plus tard, leurs corps sans vie ainsi que celui d’au moins un de leurs accompagnateurs sont retrouvés dans une fosse commune non loin du pont sur la rivière Moyo, lieu où ils avaient été aperçus pour la dernière fois par des villageois. Celui de la femme était étêté, indiquant que le meurtre portait la signature des miliciens qui coupent systématiquement la tête et le bras droit de leurs victimes. C’est aussi le point de vue des autorités rd congolaises qui déplorent que des enquêteurs des Nations-Unies se soient aventurés dans une région coupe-gorge sans en avoir prévenu qui que ce soit tant au niveau du gouvernement central que des autorités locales. Sans doute parce que, coachés par des partenaires politiquement motivés (on cite une dame Ida Sawyer de Human Rights Watch), ils étaient à la recherche de preuves de la responsabilité présumée du gouvernement congolais dans les atrocités qui se commettent depuis un an dans les Kasaï.
Une dizaine de jours plus tard, le 24 mars 2017, les miliciens récidivaient crânement en décapitant 39 policiers en mission de rétablissement de la paix dans le Kasaï Central. Portant ainsi à près de 400 le nombre de personnes tuées en l’espace de quelque 12 mois et à plus de 200 mille celui des déplacés depuis août 2016.
Condamnation du bout des lèvres
C’est seulement le 30 avril, que du bout des lèvres, les princes de l’église catholique rd congolaise ont donné de la voix, soutenu dans cette sortie médiatique hybride par le Nonce Apostolique. Mais même là, leurs excellences révérendissimes se sont montrées beaucoup plus émues par ce qu’elles considèrent comme une répression « disproportionnée », (par rapport aux atrocités réprimées, donc) comme le veut cette expression consacrée par une certaine communauté internationale dont l’Eglise catholique congolaise est devenue la caisse de résonnance en RD Congo. Le communiqué signé notamment par l’Archevêché de Kananga dit dénoncer et condamner « toute forme de violence contre les vies humaines et les structures publiques et privées » au Kasaï. Mais surtout, il exhorte « les forces sécurité à faire preuve de retenue dans un usage proportionné de la force dans le rétablissement de la paix ». Les évêques réagissaient aux informations non vérifiées faisant état de tueries de civils lors de perquisitions maison par maison à Kananga, en fait. Pas vraiment contre les atrocités commises depuis des lustres par « leurs » ouailles terroristes…
Lorsqu’elles ont hasardé un point de vue sur le phénomène Kamwina Nsapu, les élites locales ou originaires de la région ont elles aussi souvent versé dans une attitude complaisante qui « comprend », donc, excuse, les insurgés et condamne invariablement le pouvoir en place ou tout ce qui s’y apparente. A l’exemple de la sortie médiatique tonitruante du député national André-Claudel Lubaya qui a carrément accusé l’armée d’avoir « tué des civils à Kazumba ». Sans plus. Selon cet ancien gouverneur de l’ex Kasaï Occidental pour le compte du PPRD, passé à l’UNC de Vital Kamerhe avant de relancer le parti de son défunt père André Lubaya, assassiné par la dictature mobutiste dans les années ’60, l’UDA, les Fardc auraient perpétré un carnage à Tshisuku, un village du secteur de Mutevu en territoire de Kazumba. Les faits se seraient déroulés alors que des camions transportant des militaires en provenance de la frontière angolaise de Kalambambuji ont atteint Tshisuku un jour de marché. Ils auraient largué des grenades lacrymogènes et tiré sur les marchands qui tentaient de s’opposer à un pillage. Claudel Lubaya ne fait état d’aucun bilan, ni de morts ni de blessés, mais évoque bruyamment un carnage qui aurait été commis par les Fardc. Sur les carnages Kamwina Nsapu, l’ancien gouverneur observe un mutisme assourdissant subrepticement interrompu après la désignation, sous les auspices du ministère de l’Intérieur et affaires coutumières, d’un successeur au trône Kamwina Nsapu, lorsque l’ancien gouverneur a appelé du bout des lèvres ses co-régionnaires à « mettre un terme à l’insurrection ».
Mouvement anti-électoral
Attaques systématiques contre les symboles de l’Etat et du pouvoir central, particulièrement contre les installations de la CENI, extermination de policiers, d’agents de l’Etat et de services publics comme la Commisiion électorale, occupation et pillages des localités, villages et secteurs kasaiens … l’insurrection dite Kamwina Nsapu apparaît au finish comme une tentative de tirer un trait définitif sur un processus de démocratisation dans lequel les tireurs des ficelles ne trouvent pas leurs comptes, un refus des élections comme moyen légal d’accession au pouvoir. De ce point de vue, le phénomène peut s’interpréter comme une entrave de plus à l’organisation et à la tenue d’élections qui permettront aux Kasaïens de concourir et d’élire leurs futurs dirigeants. Au profit du partage équitable du pouvoir, cher à une frange de l’opposition dont nombre d’acteurs se recrutent dans les régions de l’ex Kasaï.
Pas d’élections aux Kasaï ? La perspective semble s’imposer comme de soi-même, tant il apparaît qu’il n’y aura pas de raison d’éloigner la tenue des scrutins sur toute l’étendue du vaste territoire rd congolais en raison de l’insécurité qui les compromet dans une ou deux provinces sur les 26 que compte le pays. En effet, même sur l’espace ex Kasaïen, ni la province du Kasaï Oriental, ni celles voisines de la Lomami et du Sankuru n’ont été significativement affectées par ce phénomène terroriste qui étouffe le Kasaï Central et le Kasaï. La perspective a récemment été évoquée par une voie autorisée, celle du président de la CENI, Corneille Nangaa Yobeluo. En marge de l’ouverture du 9ème congrès l’Union Nationale de la Presse du Congo au Centre Catholique Nganda la semaine dernière, le patron de la centrale électorale rd congolaise, qui évoquait les contraintes liées à la poursuite du processus électoral, a épinglé la situation sécuritaire au Kasaï Central, qui pourrait contraindre la CENI à décaler l’enrôlement dans cette partie du territoire national. Simplement. Plutôt que suspendre une opération coûteuse, prévue pour prendre fin en juillet prochain si on tient à l’organisation des élections dans les délais raisonnables voulus par tous. « Au nom de la solidarité nationale il faut qu’il y ait la paix dans cette partie du pays, et qu’on enrôle avec équité comme on l’a fait ailleurs. S’il n’y a pas de paix et que ça prend beaucoup de temps, il y a deux options. La première option est qu’on a clôturé partout, on ne sait pas enrôler au Kasai, on va aux élections sans le Kasai… » a avancé Corneille Nangaa.
Si le but poursuivi par les parrains de l’insurrection Kamwina Nsapu était de compromettre le processus électoral, il aura été atteint. Même s’il n’est pas évident que le peuple kasaïen y gagne réellement, au finish. On rappelle qu’en 2006, l’opposition radicale conduite par le défunt Etienne Tshisekedi avait appelé au boycott des premières élections démocratiques et transparentes organisées en RD Congo depuis la période dictatoriale. Aujourd’hui encore, cette frange de l’opposition en est à courir derrière l’accession au pouvoir et à multiplier des stratagèmes de partage de pouvoir préalablement à toute organisation d’élections en RD Congo.
Chassez le naturel…
J.N.