Personne parmi les protagonistes aux négociations dites directes du Centre interdiocésain de Kinshasa n’y croyait plus, lundi 27 mars 2017 dans la journée, longtemps avant la plénière de clôture des assises facilitées depuis janvier dernier par les évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO). Il était clair pour tout le monde qu’on courrait droit contre un mur de refus et de contestation, y compris pour les prélats eux-mêmes, qui avaient subtilement substitué la mission de facilitation leur confiée par le Président de la République en obligation salvatrice d’inspiration plus ou moins divine et peu cernable pour le commun des mortels.
Comme pour préparer l’opinion au pire, dans la mi-journée du lundi 27 mars, la Majorité présidentielle a animé un important point de presse à l’Hôtel du Fleuve, pour faire le point de … l’échec à venir aux négociations directes. Alors qu’on annonçait pour le même jour le point de presse du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (RaSop) dans le même dessein.
Le secrétaire général de la MP, le PPRD Aubin Minaku Ndjalandjoko, n’y est pas allé par quatre chemins pour rejeter la responsabilité de l’échec de ces pourparlers sur le RaSop. « Rien ne va malgré les nombreuses concessions faites par la MP. Le Rassemblement campe sur sa position et ne veut rien céder », a-t-il expliqué. Laissant à l’autre PPPRD, Ramazani Shadari, les soins de rappeler que sur le problème des modalités de désignation du 1er ministre, sa famille politique avait exigé une liste de 10 noms à soumettre au choix du Président de la République, avant d’aller de concessions en concessions jusqu’à ne plus exiger que trois noms. « Parce que le Chef de l’Etat n’est pas une machine à nommer », a insisté le ministre en charge des affaires intérieures du gouvernement issu de l’autre dialogue, celui du 18 octobre 2016. « Le Rassemblement refuse d’intégrer le fait que le Chef de l’Etat jouit des pleins pouvoirs lui reconnus par la constitution », a encore expliqué Ramazani Shadari. Sur cette question qui a bloqué jusqu’à la plénière de dimanche 26 mars 2017, la position de la MP est claire : c’est une liste de trois noms ou rien. La famille politique de Joseph Kabila se prévaut même du soutien d’un certain nombre de plateformes présentes au Centre interdiocésain, l’opposition signataire signataire de l’accord du 18 octobre, le Front pour le Respect de la Constitution et une partie de la société civile.
Sur l’autre question qui bloque, celle relative à la succession de feu Etienne Tshisekedi à la tête du Comité National de Suivi et l’Accord et du Processus électoral (CNSA), la MP a aussi confirmé le blocage. La personne désignée par le RaSop, le G7 Pierre Lumbi Okongo, ne rencontre pas son assentiment. C’est tout court. « Le nom de ce Monsieur avancé pour être le président du Conseil National de Suivi de l’Accord ne nous arrange pas », a déclaré Ramazani Shadari. Expliquant qu’on ne peut pas donner une prime à un traître. Sans ambages. « Si dans sa famille politique on le conteste, vous pensez que nous allons l’accepter ? », a lancé l’ancien patron du groupe parlementaire PPRD à l’Assemblée Nationale. Qui déplore au passage que sur ce point aussi, le RaSop se refuse à l’idée que le président du CNSA doive être accepté par toutes les composantes, comme l’avait été Etienne Tshisekedi.
Au-delà de ces deux points de blocage peut s’ajouter un autre, de dimension plus complexe, et qui n’en compliquait pas moins la clôture en beauté des assises du Centre interdiocésain de Kinshasa. C’est la question de la source de légitimité du pouvoir durant la période pré-électorale, sur laquelle les prélats de la CENCO se sont un peu hâtivement prononcés dernièrement du haut de la tribune du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Contrairement à Marcel Utembi, l’archevêque de Kisangani et président de CENCO, pour qui toutes les institutions de la RD Congo sont illégitimes, pour Me Nkulu Kilombo de la MP, « aucune institution n’est illégitime et ne le sera, après le 19 décembre 2016 ». La date de la fin du mandat constitutionnel du Président Kabila n’enlève rien à la légitimité de son pouvoir à la tête de l’Etat rd congolais, parce que la constitution et les lois de la République lui donnent les pouvoirs d’exercer sa fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu, a expliqué le juriste. A la MP, on se fonde sur les articles 70, 103 et 105 de la loi des lois rd congolaise pour soutenir que toutes les institutions à mandats électifs demeurent légitimes.
Un contentieux de taille sourd donc entre les prélats catholiques, qui fondent leur action politique dans l’hypothèse de la fin de la légitimité des institutions, et trahissent quelque tendance à se transformer en source de légitimité des pouvoirs temporels. Et la MP, qui estime qu’il n’est de légitimité qu’issue des urnes en attendant de retourner aux mêmes urnes. Ce contentieux transparaît dans la définition du rôle que devrait jouer la CENCO durant la période pré-électorale. Dimanche dernier au Centre interdiocésain, les évêques ont proposé une formulation de ce rôle : « la CENCO désigne un représentant pour siéger au sein du CNSA en tant qu’observateur. Chaque fois, en cas de nécessité, les parties prenantes peuvent recourir à la CENCO ». Elle n’a pas rencontré l’assentiment de la MP qui l’a sans doute jugée gloutonne et rogné : « la CENCO désigne un représentant pour siéger en qualité d’observateur », a répliqué la famille politique présidentielle. C’est tout dire des joutes en sens divers qui se sont observées aux négociations directes du Centre interdiocésain.
Au finish donc, force est de constater qu’après avoir joué des pieds et des mains pour arbitrer les divergences entre les acteurs politiques rd congolais, les évêques ont arraché de justesse un accord le 31 janvier 2016, qui s’avère inapplicable en l’état. Un accord sans modalités d’application, c’est un échec. Les prélats, qui se rendent finalement compte de la difficulté de la tâche qu’ils se sont arrogés, devraient se rendre à l’évidence : ils auront moins bien fait que le diplomate togolais Edem Kodjo. Et surtout mal fait de mépriser la solution africaine pour résoudre le problème rd congolais.
Lundi 27 mars 2017 jusque tard dans la soirée, la plénière de clôture des assises du Centre interdiocésain ne démarrait pas toujours. En raison, entre autres choses, d’une formulation particulièrement écornée des points de divergence qui ont fait capoter l’affaire par les services de la CENCO. En toute discrétion, la délégation de la MP a délégué une petite équipe de négociateurs pour faire comprendre à leurs excellences que leur texte ne reflétait pas la réalité, et qu’il fallait le corriger. Chose qui a été faite non sans perdre du temps : jusqu’à 21 h 30’ passées, rien à se mettre sous la dent. Ce n’est qu’autour de 22 H 00 que les évêques ont gagné la salle. Pour annoncer qu’ils jetaient quasiment l’éponge et renvoyaient le dossier au Président de la République. Tout en appelant au sens de responsabilité de Joseph Kabila pour le respect de l’Accord de la Saint Sylvestre et la mise sur pieds des institutions qui en sont issues. A 23 h, le même lundi soir, il était acquis pour tout le monde que les fameux arrangements particuliers ne seraient plus signés, Félix Tshisekedi déclarant devant la presse prendre acte de l’échec des négociations et promettant de fixer « son » peuple mardi 28 mars 2017.
J.N.