Les langues se délient parmi les participants aux négociations politiques directes entre les parties signataires de l’accord politique de la Cité de l’OUA et les non signataires, composés de la frange tshisekediste-katumbiste de l’opposition et le Front pour la défense de la constitution (MLC & alliés). L’enthousiasme et l’optimisme nés des déclarations prometteuses des évêques de la CENCO qui ont annoncé, le week-end, qu’un accord était possible dès ce vendredi 30 décembre 2016, cèdent le pas à quelque pessimisme. Ceux qui, dans les milieux de l’opposition radicale annonçaient ‘urbi et orbi’ l’attribution de la primature au Rassemblement ès qualité et le partage « fifty-fifty » des portefeuilles ministériels aussi bien au niveau de l’exécutif national qu’à celui de tous les gouvernements provinciaux entre signataires et non signataires de l’accord du 18 octobre se rendent de plus en plus à l’évidence qu’ils ont vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il en est de même de l’exigence prétendument acquise de la démission – reconfiguration de la haute direction de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI)- , distillée dans l’opinion et qui s’avèrent ‘in fine’ plus qu’erronée.
Strict et intégral respect de la constitution
Il semble, en réalité, que les délégués aux négociations directes ne se soient franchement convenus que sur les points des discussions qui ne heurtent pas la lettre et l’esprit de la constitution de 2006. Précisément parce que jusque-là, le point d’accord fondamental entre les parties prenantes à l’accord politique de la Cité de l’OUA et les radicaux de l’opposition réside bien dans le respect du texte voté par les rd congolais par referendum en 2006 « dans son intégralité ».
Pour le reste des points à convenir, il n’y a que deux attitudes qui paraissent possibles à l’arrivée pour les membres du Rassemblement de l’opposition : se soumettre à la constitution ou la modifier avec comme conséquence que rien n’empêcherait les autres parties prenantes d’y puiser légitimité pour élargir la brèche. Casse-cou !
Ainsi en est-il du point relatif à la revendication du poste de premier ministre par le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement d’Etienne Tshisekedi et Moïse Katumbi. Les informations publiées dans nos colonnes il y a 48 heures (Le Maximum n° 405 du 27 décembre 2016) se confirment. Il n’existe qu’une très maigre possibilité de faire plier bagage à un Premier ministre dûment investi par l’Assemblée nationale au profit de qui que ce soit d’autre. Ce qui revient à dire que depuis la nomination mi-novembre dernier du président du groupe parlementaire de l’UDPS à ce poste et l’adoubement de son gouvernement par la chambre basse du parlement, même le Chef de l’Etat ne peut, aux termes des dispositions de la Constitution en vigueur depuis 2006, le démettre, si tant est qu’il ait jamais eu intérêt à le faire.
BDB plus coriace que ça
Seules une démission volontaire et une démission forcée à la suite d’un vote de défiance ou de censure par l’Assemblée nationale sont envisageables à cet égard pour éjecter Badibanga de son strapontin. Or, en l’état actuel des choses, les deux perspectives paraissent peu réalistes, quoiqu’en pensent ou disent, les calottes sacrées et leurs amis du Rassemblement de l’opposition. « On ne voit pas Samy Badibanga démissionner juste pour faire plaisir à ceux qui, il y a quelques jours encore, l’abreuvaient d’injures et clamaient son auto-éjection de l’UDPS malgré son apport très significatif à la vie de ce parti politique », explique à cet effet au Maximum un proche du tout récent 1er ministre, interrogé au téléphone à Kinshasa. Tout comme, cela va de soi, on voit mal la toute aussi nouvelle majorité parlementaire reconfigurée après la nomination du patron du groupe parlementaire UDPS & Alliés à l’assemblée nationale laisser passer une motion de défiance en sa défaveur après avoir voté à la quasi unanimité l’investiture de son équipe gouvernementale.
Les délégués de l’opposition radicale aux négociations dites directes pilotées par les évêques de la CENCO se savent donc en position de faiblesse sur cette question. Chez nos confrères de Actualités.cd, Georges Kapiamba, un activiste des droits de l’homme très proche de l’UDPS et du Rassemblement de l’opposition, ne s’en cache pas trop et semble préparer les esprits à une véritable dérouillée de ses amis politiques en disant « craindre que le manque de volonté politique ne persiste dans le camp des signataires de l’accord politique de la Cité de l’OUA ». Volonté politique : une expression également ressassée par les évêques responsables de la CENCO qui dirigent les travaux du Centre interdiocésain. Un véritable euphémisme par lequel il faut entendre l’audace pour Joseph Kabila et sa majorité parlementaire confortable de modifier la partie de la constitution qui fait obstacle à l’éjection arbitraire d’un Premier ministre pour, de la sorte, faire place nette aux radicaux.
A moins qu’il ne s’agisse du « courage » de Samy Badibanga Ntita lui-même d’accepter de lâcher le morceau en faveur de ses (anciens ?) amis de l’UDPS extra-parlementaire ; ou encore celui des députés nationaux qui siègent à l’hémicycle, dont on sait que les mandats, selon la sacro-sainte constitution « ne sont pas impératifs ». La perspective de se convenir sur la primature dépend, décidément, de trop de « volontés politiques » d’esquinter le texte constitutionnel pour avoir une chance de devenir réalité.
Pas de cogestion d’exécutifs provinciaux pour l’UDPS
La cogestion des exécutifs des provinces se heurte, elle aussi, aux mêmes problèmes de respect des textes : les gouvernements provinciaux sont une fidèle émanation des assemblées provinciales dont on sait qu’elles sont composées de députés provinciaux élus. Il est donc impossible d’en partager la gestion si on ne dispose pas d’élus provinciaux, ce qui est le cas de l’UDPS Tshisekedi qui, sur cette question, paie le prix de sa décision prise intempestivement en 2006, d’interdire à tous ses membres de prendre part aux élections provinciales de 2006. Cette question de la cogestion des exécutifs provinciaux, suffisamment délicate, a même eu le don de fragiliser le front des non signataires de l’accord du 18 octobre 2016 aux négociations du Centre interdiocésain. Parce que le MLC de Jean-Pierre Bemba, qui lui compte des élus provinciaux dans plus d’une quinzaine de provinces, a opté pour le strict respect d’un texte constitutionnel qui lui assure de participer effectivement à la gestion des fameux exécutifs provinciaux. Une position qui vaut à Madame Eve Bazaïba, la secrétaire générale du MLC que l’on présentait il y a quelques jours encore comme la dame de fer dans les milieux de l’opposition radicale, d’être accusée de trahison en faveur de Joseph Kabila par certains ténors de cette dernière.
En réalité, si trahison il y a sur la question, il s’agit de la trahison d’un complot de modification constitutionnelle. Pour une dame qui trône sur un regroupement politique fondé sur la défense de la constitution aux négociations directes, c’était trop demander, pourtant.
Complot contre la constitution ?
Quant à la restructuration de la CENI, également réclamée à cor et à cri par les radicaux, elle s’avère encore plus compliquée. Parce qu’il est simplement impossible d’obtenir le départ des membres du bureau de la Centrale électorale autrement que par un vote de l’Assemblée nationale dont émane l’institution d’appui à la démocratie. Un exercice compliqué compte tenu de l’équilibre des forces politiques à l’hémicycle. Ou encore, en ce qui concerne le président du bureau de la CENI, dont la tête est réclamée par… des évêques catholiques en dépit de leur position de facilitateurs (il en a toujours été ainsi, depuis Malumalu et Ngoy Mulunda) et par leurs alliés de l’opposition radicale. Seules les confessions religieuses dont relève le poste de président de la centrale électorale sont habilitées à lui retirer leur confiance. Or, elles ont récemment donné de la voix, s’opposant à toute perspective d’éjection du très compétent Corneille Nangaa Yobeluo.
Sur cette question, il y a encore pire ou mieux, c’est selon. Parce que derrière la volonté politique de revoir la composition du bureau de la CENI se cache l’intention malicieuse d’allonger la période transitoire avant la tenue des élections. Parce qu’une restructuration complète de la CENI implique le retardement d’opérations électorales et du calendrier déjà en cours d’exécution à travers le pays. Les sources du Maximum au Centre interdiocésain renseignent que sur cette revendication, même certains prélats catholiques se sont montrés dubitatifs : comment peut-on à la fois soutenir la thèse de l’organisation d’élections dans les délais les plus brefs et revendiquer cette remise à plat de l’administration électorale dont on sait qu’elle a toujours pris plusieurs mois pour être menée à bonne fin ?
Quoiqu’il advienne des négociations directes du Centre interdiocésain, une chose est certaine : les défenseurs et protecteurs de la constitution ne sont pas nécessairement ceux qui se présentent bruyamment comme tels.
J.N.