Etienne Tshisekedi désormais éclipsé par Moïse Katumbi en RD Congo ? Oui, à en juger par les résultats d’un sondage d’opinion rendu public mardi 25 octobre 2016. Sur les personnes interrogées par les enquêteurs qui prétendent avoir sillonné toute la RD Congo d’avril à septembre dernier, 33 % accordent leurs préférences à l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, un obscur camionneur sorti de l’anonymat par feu Augustin Katumba Mwanke il y a quelques années, contre seulement 18 % au ‘lider maximo’ de l’UDPS, Etienne Tshisekedi wa Mulumba une célébrité de la classe politique congolaise depuis les années ‘60. Le travail est assorti d’une sorte de cartographie qui indique les provinces acquises à l’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga : toutes, sauf le Kasaï Central, le Kasaï, la Lomami, le Maindombe, la Mongala, et le Haut-Lomami. Même la province du Maniema, connue pour avoir accordé près de 100 % des suffrages à Joseph Kabila en 2011 serait magiquement passée dans le camp katumbiste, à en juger par les enquêtes menée d’avril à septembre dernier par le GEC (Groupe d’Etudes sur le Congo) avec le concours de BERCI (Bureau d’Études, de Recherches, et Consulting international). L’affaire ne passe pas dans l’opinion et des voix se sont élevées, aussi bien parmi les sympathisants de l’opposition politique rd congolaise que dans le camp présidentiel, pour dénoncer ce que d’aucuns considèrent comme l’escroquerie électorale du siècle en RD Congo.
Le sondage qui pose un président
En un mot comme en mille, les résultats du sondage GEC-BERCI larguent une affirmation dans l’opinion nationale et internationale qui se traduit par une phrase : Moïse Katumbi président de la République. Les invraisemblances jetées en pâture apparaissent plutôt comme la conséquence de ce postulat qui a réellement guidé l’écriture de ce « rapport de sondage ». La qualité des auteurs du sondage, la méthode utilisée, etc., sont plutôt de nature à le confirmer.
L’auteur principal du sondage, Jason Stearns, est un ancien expert onusien en RD Congo, qui, après son mandat d’enquêteur en RDC pour le compte des Nations Unies, s’est installé son compte en créant le Groupe d’Etude sur le Congo établi aux Etats-Unis, son pays. Dans l’opinion rd congolaise et internationale, l’homme s’est fait connaître en publiant « Qui sont les tueurs de Beni ? », un rapport d’enquête paru en mars dernier. Et dont la principale affirmation consistait à insinuer que des éléments des Forces Armées de la RD Congo auraient participé aux tueries de paisibles civils à l’arme blanche perpétrés dans cette partie du pays. Le « chercheur » fondait son affirmation sur le fait que des témoins lui auraient rapporté que certains tueurs étaient vêtus de treillis FARDC. Tout simplement. Ce qui provoquera l’ire des autorités congolais. Début avril 2016, l’opinion apprenait que le directeur du GEC était déclaré ‘persona non grata’ et expulsé du territoire RD Congolais pour outrage aux forces armées, bien que le gouvernement se soit limité à préciser sobrement que les services de l’immigration n’avaient simplement pas jugé opportun de renouveler le visa du chercheur, arrivé à expiration. En toute objectivité donc, l’homme qui se fend d’un sondage douteux sur les enjeux de la prochaine élection présidentielle rd congolaise semble avoir déjà eu maille à partir avec les autorités en place, et serait fondé de prendre le parti de prétendants au trône comme Moïse Katumbi.
En faveur d’un candidat qui roule sur l’or
L’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga est connu pour rouler sur l’or et ne pas lésiner sur les prébendes à mettre à la disposition de ceux qu’il recrute au service de son ambition ou lorsqu’il s’agit de promouvoir sa cause, quelle qu’elle soit. Rien qu’aux Etats-Unis, Katumbi s’est offert les services de lobbys de renom, Akin Grump en casquant la bagatelle somme de 100 millions USD. Dans la foulée, le candidat proclamé à la présidentielle rd congolaise a mis sur pied en 2015 une Ong internationale, United for Africa’s Democratic Future. L’organisation est dirigée par Rick Gittleman, un ancien de la multinationale Suisse Glencore et de l’Américaine Freeport Mc Moran, deux entreprises minières de l’ex province du Katanga du temps où il fut gouverneur de la province cuprifère. Nos confrères de Jeune Afrique qui livrent cette information révèlent qu’au conseil consultatif de l’Ong internationale siègent des personnalités comme la députée européenne d’origine rd congolaise, Cécile Kyenge, originaire du Sud Katanga comme Katumbi ou encore un certain Johnnie Carson, ancien sous secrétaire d’Etat adjoint chargé des affaires africaines, actuellement « Monsieur Afrique » de la candidate démocrate à la présidentielle US, Hilary Clinton. Si Moïse Katumbi peut s’offrir tout ce beau monde, on ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher de se faire tailler un sondage sur mesure made in USA, se dit-on à Kinshasa.
Kamitatu et son vieux BERCI
Quant à BERCI, l’enquêteur associé du GEC, il ne paie vraiment pas de mine. Créé à la fin de la décennie ’80, le bureau d’études dirigé par Olivier Kamitatu, dissident de la majorité présidentielle et membre du G7 comme Katumbi et sa belle-sœur Francesca Bomboko, ce groupe s’est consacré d’abord à l’étude des marchés pour certaines entreprises de Kinshasa avant de virer, sans grand succès, vers les sondages politiques. Quelques semaines après l’entrée conquérante des troupes de l’AFDL à Kinshasa en mai 1997, le duo Kamitatu-Bomboko s’étant fendu d’un sondage sur la popularité du Mzee Laurent-Désiré Kabila et ses hommes, s’était fait vertement tancer par les tombeurs de Mobutu qui estimaient à juste titre que la République Démocratique du Congo n’était pas encore suffisamment organisée pour se prêter à ce type de sondage. BERCI rangera, pour ainsi dire, stylos et calculatrices, parce que de sondage politique, le bureau n’en avait plus publié depuis quelques bonnes décennies. Et lorsqu’il se remet à l’ouvrage, les résultats de ses enquêtes ne peuvent ne pas pencher du côté des nouveaux amours (politiques !) de Olivier Kamitatu. Même si ce dernier s’en défend avec véhémence chez nos confrères de Jeune Afrique : la dénégation passe mal. « C’est comme l’histoire du fondateur qui prend congé du parti politique qu’il a fondé », commente en souriant un fonctionnaire, habitué d’un « parlement debout » du quartier Limete à Kinshasa.
Méthodologie douteuse
Reste donc la méthodologie utilisée par les sondeurs pour fabriquer un Katumbi plus populaire que Joseph Kabila ou Etienne Tshisekedi, têtes de file de la dernière présidentielle rd congolaise, qui, malgré ses imperfections (que les deux candidats ont stigmatisé, du reste) vaut mieux qu’un sondage portant sur 7.500 des 80 millions de rd congolais. Ce n’est pas la peine de se lancer dans des calculs savant pour se rendre compte qu’il y a anguille sous roche dans cette affaire de sondage : on peut déjà se demander quelle peut être la valeur des avis de 7.500 personnes sur une population estimée à près de 80 millions d’âmes. Mais aussi, quelle est la catégorie des personnes interrogées. Le sondage fait état d’un questionnaire comprenant 150 questions. Il élimine près de la moitié des rd congolais analphabètes, parce que ne peut lire 150 questions qui veut : il faut avoir au moins un niveau universitaire pour ce faire. Qui donc les enquêteurs de GEC-BERCI auraient-ils interrogé à travers toutes les provinces de la RD Congo ?
A l’évidence, le sondage paru mardi dernier, qui vide Etienne Tshisekedi de toute sa substance d’homme politique populaire dans une partie de la RD Congo, ne plaira pas à tout le monde au sein du Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement. Il est de nature à prouver, noir sur blanc, que le « vieux » s’est laissé embarqué dans une affaire sans avenir, pour lui et les siens. Le maître d’ouvrage de la nouvelle plate-forme politique des opposants rd congolais, c’est Katumbi Chapwe. On se demande donc ce que fait Tshisekedi dans cette galère ? Interrogé par Le Maximum, un proche du lider maximo assure que les deux camps, celui d’Etienne Tshisekedi et celui de Moïse Katumbi, poursuivent chacun ses objectifs. Et que pour l’instant, un point commun les rassemble : le départ de Joseph Kabila du pouvoir. Quitte à s’affronter après ? L’avenir répondra à ces questions mieux que toute spéculation.
J.N.