Ces dernières semaines, des troubles ont éclaté à Kinshasa. Soutenue par l’Occident, une partie de l’opposition appelait la population à manifester. Ces troubles constituent un prétexte pour que Bruxelles, Paris et Washington s’immiscent plus encore dans les affaires du Congo. Pour l’Occident, Kabila doit partir le plus vite possible. Mais est-ce vraiment ce que la population congolaise désire ?
Une partie de l’opposition annonçait une « manifestation pacifique » le lundi 19 décembre. En lieu et place ont suivi deux journées de troubles graves. Le bilan présenté par le Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH) au Congo est de 30 morts, 126 blessés et 368 arrestations. Ce 19 septembre, les bureaux de six partis de la majorité ont été incendiés. Des bâtiments publics et des résidences privées ont été pillés.
Le lendemain, des actions de représailles ont suivi au cours desquelles les sièges de trois partis de l’opposition ont été détruits. Les troubles se sont poursuivis durant toute la journée. Un membre anonyme de l’opposition radicale a expliqué à La Libre Belgique : « Les manifestants veulent le départ de Kabila. Les maisons et les magasins qui ont été pillés appartiennent à des membres de la majorité ». Bien des photos montrent des jeunes avec des boucliers, des uniformes et des armes qu’ils ont pris à la police.
Partialité de l’info
Les actions de représailles contre les trois partis de l’opposition sont condamnables. Et la justice doit à coup sûr examiner les causes exactes et les circonstances valant pour chaque victime. Mais, dans les médias occidentaux, il n’était question que de destruction des sièges des partis de l’opposition. En outre, la responsabilité totale de la violence était imputée au gouvernement.
« Nous demandons surtout aux autorités d’éviter la violence excessive », a déclaré le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR). Le président français Hollande était encore plus clair : « Il y a eu des victimes suite aux interventions excessives du gouvernement congolais ».
La Belgique et Washington choisissent leur camp
La partie de l’opposition qui a choisi de manifester lundi se sent soutenue depuis longtemps déjà par les gouvernements occidentaux. En juin, ils s’étaient réunis dans la localité belge de Genval (Brabant wallon), où ils avaient une fois encore balayé de la main la proposition de dialogue émise par Kabila l’an dernier déjà. « L’Amérique doit être impliquée dans le groupe international qui accompagne le dialogue », a déclaré Raphaël Katebe Katoto Soriano, un richissime mobutiste (partisan de Mobutu, dictateur chassé du pouvoir en 1997 par Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président) qui, depuis des années, réside à Bruges où il est considéré comme l’un des importants financiers de l’opposition congolaise aux ordres de l’Occident. « Tant que l’Amérique n’en sera pas, nous n’avons aucune garantie que les résolutions prises seront appliquées ». En même temps, le « groupe de Genval » fait sentir clairement qu’il voulait chasser Kabila du pouvoir si, pour fin novembre, des élections n’étaient pas organisées.
Après leur conclave à Genval, Didier Reynders les a reçus et encouragés. Les exigences du groupe seront littéralement reprises dans la résolution qui, sur proposition de la N-VA et du CD&V et avec le soutien des partis libéraux et du PS, a été approuvée le 20 juillet au parlement belge. Quant aux points de vue des autres groupes de l’opposition qui étaient plus ouverts au dialogue proposé par le président Kabila, pas un mot n’a été dit dans cette résolution. De la sorte, on soutient un seul camp et on encourage la division entre les hommes politiques congolais.
Des possibilités d’accord
Pendant ce temps, à Kinshasa, débutait quand même le dialogue avec une autre partie importante de l’opposition. Tout d’abord, il a été convenu que les listes électorales seront complètement revues et que cela durerait jusqu’en juillet 2017. Si l’on veut des résultats fiables respectant la volonté de l’électeur congolais, il faut en effet enregistrer les millions de jeunes qui ont eu 18 ans après 2011. Les personnes décédées doivent être radiées et il faut également corriger d’autres erreurs qui figuraient sur les anciennes listes.
Il semble que l’actuel dialogue puisse aboutir à un accord final complet et définitif. Dans le projet d’accord final, il est mentionné que, quinze jours après la signature de celui-ci, la Commission électorale nationale indépendante devra publier un calendrier du déroulement des élections. Trente jours après la signature, un large gouvernement d’unité nationale serait constitué qui devrait avoir comme tâche principale d’assurer le financement et la faisabilité des élections.
Pourquoi l’Occident veut-il l’éviction de Kabila
Le ministre Didier Reynders a balayé ce dialogue et les résultats obtenus. Il veut un tout nouveau dialogue avec un autre médiateur à la botte du « groupe de Genval ». Il insiste en même temps pour que les élections aient lieu le plus tôt possible, au printemps 2017. Washington et Paris abondent également en ce sens. Pourtant, c’est la meilleure garantie d’une nouvelle contestation des résultats. En outre, il s’agit d’une grave violation de la constitution congolaise qui désigne la Commission nationale comme seul organe pouvant établir le calendrier électoral en toute indépendance. Les gouvernements occidentaux n’ont donc aucun respect pour la constitution congolaise. Derrière les belles paroles sur la démocratie et les droits de l’Homme, l’Occident a un agenda qui défend ses intérêts économiques et politiques.
Sous le président Kabila, les rapports de force au Congo se sont complètement renversés. En 2000, quelque 78 % des exportations congolaises allaient encore vers les pays européens. Aujourd’hui, la Chine en prend 73 % à son compte et la part de l’Europe s’est réduite à 18 %. Pour des dettes contractées ailleurs dans le monde, la multinationale américaine Freeport Mc Moran se voit obligée de vendre à une compagnie chinoise la principale mine de cuivre du Congo, celle de Tenke Fungurume. C’est encore trop tôt pour voir si cette coopération Congo-Chine pourra améliorer la vie quotidienne des Congolais, mais ce n’est pas le souci des anciens exploiteurs occidentaux. C’est au peuple Congolais d’en décider. Politiquement, l’Occident est très inquiet de ce qu’il appelle le « souverainisme » de Kabila. Ce dernier est ouvert à l’Occident, mais refuse toute forme d’ingérence. De plus, il faut régulièrement allusion aux combattants de la résistance au colonialisme et au néocolonialisme, tels Lumumba et son propre père, Laurent-Désiré Kabila.
Des élections indépendantes
Organiser des élections libres et honnêtes dans un pays aussi grand que l’Europe, sans infrastructures, sans argent et sans la moindre idée de l’ampleur de sa population est une mission particulièrement ardue. Aussi les résultats des élections de 2006 et 2011 ont-ils chaque fois été contestés avec une extrême violence. Depuis la fin de la guerre, en 2003, c’est à trois reprises, avec l’appui des Etats-Unis et de l’Europe, que de nouvelles guerres ont été fomentées à partir du Rwanda et de l’Ouganda. Et, même si la situation économique du Congo progresse plus rapidement que la moyenne africaine, le trou d’où le pays doit s’extraire après trois longues décennies de dictature mobutiste et cinq années de guerre est très profond.
Bien des jeunes Congolais n’ont jamais connu autre chose que la guerre et estiment que Kabila apporte trop peu de changement, et trop lentement. Certains sont prêts à suivre l’appel à la révolte, même s’ils ne croient pas dans les hommes politiques qui poussent au soulèvement et que cela ne leur offre aucune autre perspective, hormis le départ de Kabila. D’autres estiment que le dialogue et les élections doivent avoir leur chance.
Si l’accord imminent trouve suffisamment de soutien parmi la population et n’est pas influencé par quelque ingérence étrangère, on peut s’attendre à ce que la campagne électorale soit davantage menée sur base d’idées et de programmes politiques, et non pour ou contre l’un ou l’autre personnage.
Ce n’est qu’une fois que les élections auront lieu et qu’un consensus suffisant autour des résultats sera possible que les choses pourront vraiment commencer. Car le principal message donné par les jeunes les lundi et mardi 19 et 20 septembre, c’est qu’ils ne veulent plus vivre sans travail, sans avenir et dans l’insécurité.
Quoique décide le peuple congolais au cours des mois à venir, le plus démocratique et le plus avantageux pour lui sera que les choses se passent sans ingérence étrangère et que l’unité du pays soit sauvegardée.
TONY BUSSELEN