Kanyabayonga, Lubero, Butembo, Beni ville et Beni rural, cela fait environ 1 million d’électeurs, si l’on s’en tient aux chiffres de la CEI datant des scrutins de 2006, qui furent globalement jugés satisfaisants par tous les observateurs, nationaux et internationaux. Cette partie de l’immense RD Congo vaut donc son pesant d’or sur le plan électoral, et aucun acteur politique prétendant à la magistrature suprême ne peut la considérer comme du menu fretin. C’est ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Grand Nord Kivu, cette partie de la province du Nord Kivu essentiellement peuplée par des populations Nande, connues pour leur habileté particulière au commerce et au négoce.
Célébrité macabre
Seulement, depuis près de deux ans maintenant, ce n’est pas par leurs aptitudes à fructifier l’argent que les Nande sont célèbres : en territoire de Beni, une contrée qui fait frontière avec l’Ouganda et la province rd congolaise de l’Ituri, des massacres d’une rare méchanceté sont perpétrés contre de civils innocents et sans armes, à la machette généralement. On parle de plus de 600 assassinats crapuleux commis par les ADF, un groupe rebelle ougandais pourtant réputé sur le déclin après moult campagnes d’éradication entreprises par les Fardc avec le soutien de la Monusco. Il y a quelques semaines, ces présumés rebelles ougandais ont réussi un coup de maître en matière de crime crapuleux en envoyant ad patres de dizaines de civils dans un quartier périphérique de Beni. C’était la première fois que cette force négative s’approchait à ce point de l’agglomération urbaine hautement surveillée aussi bien par les Fardc que les casques bleus de la Monusco dont les campements sont situés alentours. Autre trait caractéristique du dernier exploit des tueurs de Beni, les assaillants étaient vêtus de tenues militaires Fardc pour mieux se camoufler.
La question des tenues militaires Fardc révèle, en réalité, l’implication d’acteurs politiques rd congolais dans les tueries à répétition de Beni. Certes, dans un passé plus ou moins récent, des casques bleus de la Monusco avaient été surpris vendant des treillis de l’armée nationale dans une région infestée de rebelles et de forces négatives de tous acabits. Mais en territoire de Beni, c’est connu, la participation et la responsabilité des fils du terroir dans l’insécurisation de la contrée est de quasi notoriété publique. Etat rebelle géré par un mouvement politico-militaire, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Kisangani/Mouvement de Libération (RCD-K-ML) entre 1998 et 2003, la région de Beni-Butembo, comme on la désigne, éprouve un mal fou à se défaire des démons de la rébellion armée. Il est certain que les différents mouvements armés qui ont écumé la région n’ont pas tous réussi l’intégration de la totalité de leurs effectifs au sein des Fardc. En ce compris les éléments des Forces Armées du Peuple Congolais (FAPC), la branche armée du RCD-K-ML, d’Antipas Mbusa Nyamuisi. Assurément, l’ancien roitelet de Beni-Butembo n’a pas été suffisamment naïf pour se débarrasser de toutes ses troupes, malgré son intégration dans divers équipes gouvernementales après les accords de Sun City en Afrique du Sud et les élections présidentielles et législatives de 2006 et 2011.
Dénoncé par des experts onusiens
Des rapports d’organisations de la société civile du Grand Nord Kivu en attestent : dans le drame des populations civiles de Beni rural, la responsabilité d’acteurs politiques locaux est manifeste. Parmi ces acteurs politiques, le nom de l’ex roitelet des lieux, Antipas Mbusa Nyamuisi, est fréquemment cité. Ne fût-ce qu’en ce que par-là, rien sur le plan sécuritaire ne peut se perpétrer à son insu. Mais il y a mieux. Il y a quelque 4 ans, en 2014 un rapport en bonne et due forme de l’ONU révélait l’implication du président du RCD-K-ML dans les problèmes sécuritaires au Grand Nord Kivu. Au travers de groupuscules mai-mai qu’il manipule depuis les années rebelles 1998 – 2003, dont celui dirigé par le chef maï-maï Bana Sultani Selly, alias « Kava wa Selly », la FOLC (Force oecuménique pour la libération du Congo). « En juin 2012, la FOLC s’est alliée au M23 dans le territoire de Beni, avec le soutien du parlementaire Antipas Mbusa Nyamwisi. Selon des membres de groupes armés, des officiers des forces armées congolaises et des dirigeants locaux, le commandant Hilaire Kombi, qui a déserté des forces armées congolaises en juin 2012, a récupéré des dizaines d’armes chez M. Nyamwisi, dans la ville de Beni, avant de rejoindre Selly dans la vallée du Semiliki. Plusieurs semaines plus tard, le lieutenant-colonel Jacques Nyoro Tahanga a rejoint les rangs de la FOLC sur instructions de M. Nyamwisi, afin d’en assumer la direction politique. M. Nyamwisi a également recruté des politiciens d’ethnie Nande pour le compte à la fois de la FOLC et du M23. Le 3 août 2012, une petite unité de la FOLC a attaqué sans succès la ville frontière de Kasindi, espérant y récupérer des armes. M. Nyamwisi s’est rendu à plusieurs reprises à Kigali pour y rencontrer des responsables rwandais et a désigné un agent de liaison à Gisenyi, Andy Patandjila. Selon plusieurs officiers des forces armées congolaises, ce dernier offre 1 000 dollars à tout homme qui rejoindrait les rangs des rebelles. Des collaborateurs de la FOLC ont indiqué que tant Hilaire Kombi que Jacques Nyoro Tahanga communiquent régulièrement avec Sultani Makenga, l’un des dirigeants du M23. Ces personnes ainsi qu’un officier du M23 ont déclaré que Nyoro s’était rendu par deux fois à Rutshuru – la deuxième fois au cours de la dernière semaine de septembre 2012 – pour y coordonner les opérations avec le M23. Outre sa propre contribution, M. Nyamwisi a reçu des fonds de plusieurs hommes d’affaires de Beni et de Butembo, parmi lesquels Mango Mat, ancien patron d’une compagnie aérienne congolaise. En retour, M. Nyamwisi a promis que les rebelles abaisseraient les droits perçus au poste frontière de Kasindi, à la frontière avec l’Ouganda », peut-on lire, entre autres, sur ce rapport d’experts onusiens consacré aux violations sur l’embargo de ventes d’armes en RD Congo.
Exposé à des poursuites judiciaires
A l’évidence donc, Antipas Mbusa Nyamuisi, l’ancien roitelet de Beni-Butembo, s’est exposé à des poursuites judiciaires en RD Congo. L’homme ne l’ignore pas, puisqu’il a quitté le territoire national et résiderait en Tanzanie. La dernière fois qu’il a été aperçu en public, Mbusa Nyamuisi plastronnait, en compagnie d’un certain nombre d’opposants, à l’île de Gorée au Sénégal. Il y prenait part à un atelier de formation sur la problématique de changement de pouvoir en RD Congo, financé par des organisations internationales occidentales.
Mais c’est à cet homme, dont la responsabilité dans les tueries du Nord Kivu en général, puisqu’il est impliqué dans la rébellion du M23 démantelée les Fardc soutenues par les casques bleus, est quasiment avérée, que le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement de Katumbi et Tshisekedi tend une perche inespérée. Parmi les préalables émises par la plate-forme katumbiste de l’opposition, samedi 3 septembre 2016, figure une nouvelle : le « retour en toute sécurité et sans ennuis des exilés politiques ». Des sources du Maximum au Rassemblement assurent que c’est bien d’Antipas Mbusa, qui craint des poursuites judiciaires dans son pays, qu’il s’agit. Chez les katumbistes du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, c’est le non-Etat parfait qui est prôné. En attendant qu’eux-mêmes accèdent au pouvoir et refondent un nouvel Etat rd congolais. Les autres préalables, déjà connus, s’inscrivent dans ce contexte global : la libération sans condition des détenus politiques ; l’abandon des procédures judiciaires arbitraires contre les opposants et les membres de la société civile ; l’arrêt de toute forme d’harcèlements et de menaces contre les membres de l’opposition tant à Kinshasa qu’à l’intérieur du pays, etc.
J.N.