Le facilitateur du Dialogue national inclusif, Edem Kodjo, a prononcé, le 1er septembre à la cité de l’OUA, un discours teinté de réalisme et de courage : réaliste, parce qu’il a bien semblé que le Togolais ne se fait pas trop d’illusion sur l’amélioration de l’inclusivité des assises ouvertes jeudi avant d’être momentanément suspendues, dans l’espoir d’appâter plus gros poisson ; courageux, parce l’ancien secrétaire général de l’OUA fait preuve de quelque détermination à mener sa tâche, aussi imparfaite soit-elle, jusqu’au bout.
Le lecteur lira ci-après cette importante allocution.
J.N.
REUNION D’OUVERTURE DU DIALOGUE POLITIQUE NATIONAL INCLUSIF EN RDC
CITE DE L’UNION AFRICAINE, KINSHASA, LE 1ER SEPTEMBRE 2016
ALLOCUTION D’OUVERTURE
SEM. Edem KODJO
Monsieur le Président de l’Assemblée,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les chefs des Missions diplomatiques accréditées en RDC,
Monsieur le Gouverneur de la ville de Kinshasa,
Mesdames et Messieurs,
Nous l’attendions, cette rencontre, oui nous l’attendions non comme le renouvellement rituel d’un acte
routinier, mais en tant que prodrome, signe avant coureur d’une ère nouvelle pour le Congo.
Réunir ici cet impressionnant aréopage d’hommes et de femmes parmi les plus réputés et les plus
chevronnés du pays, venus de tous les horizons politiques et de la Société Civile, nous offre l’avantage
incomparable de pouvoir toucher du doigt les enjeux de ce processus et les défis qu’il nous condamne à
relever.
« “…..ce que nous voulions pour notre pays, c’est son droit à une vie honorable, à une dignité sans
tache, à une indépendance sans restrictions…’’, »
« Que pourrai-je dire d’autre ? Que mort, ou vivant, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le
Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous
regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi
restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se
débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour
dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur. » C’est
que Patrice Emery Lumumba a laissé comme héritage à sa femme et à ses enfants.
Cet héritage, nous le reprenons, nous l’assumons.
Oui !
Oh ! Oui, Nous avons accepté cette mission uniquement pour reprendre le flambeau de notre illustre
prédécesseur. Il s’agit de prouver au monde et aux autres nations que le Congo est en mesure de poser de
nouvelles fondations, que le Congo aspire profondément à un meilleur devenir à tous les niveaux : politique, socioéconomique, technologique et scientifique et que le faire bouger et émerger, est un désir
ardent inscrit au coeur des Africains.
il me plaît de saluer le Président de la République Joseph KABILA et son Gouvernement pour tous les
efforts qui ont été faits jusqu’ici pour accompagner et soutenir ce travail en prenant des mesures qui ont
contribué à détendre l’atmosphère et à permettre à des Congolais jusque là détenus, de retrouver depuis
quelques jours, la chaleur du cocon familial. Nous lui sommes reconnaissants et lui demandons de
poursuivre inlassablement ce qu’il a si bien commencé.
Je dois exprimer ici, toute ma gratitude au Président Eduardo DOS SANTOS qui très tôt, a cru en ce
processus, nous a reçus et qui, grâce à une connaissance fine de la situation, a partagé avec nous, des
détails précieux qui guident encore nos pas.
J’exprime toute ma gratitude au Président Faure GNASSINGBE du Togo, qui suit avec une attention
particulière et au jour le jour ce que nous faisons et qui dès le départ, nous a encouragé à aller aider nos
frères congolais et qui nous apporte un soutien manifeste, quoique discret.
C’est le lieu de saluer ici, votre illustre voisin, le Président Denis Sassou N’GUESSO pour le travail
considérable accompli et qui a su en accord avec les Autorités congolaises, s’impliquer au bon moment en
conviant tour à tour à Brazzaville, les différentes composantes et sensibilités de la classe politique
congolaise afin de créer les prémices d’une harmonie nécessaire à la tenue du Dialogue. Je dois
publiquement le remercier pour son soutien moral pendant les heures de doute, car il y en a eu, en me
rappelant que lorsqu’on choisit de mettre dans sa vie, l’Afrique au dessus de tout, surtout quand on l’a
servi aussi longtemps et à des postes éminents et convoités, il faut savoir aussi accepter sur le chemin, les
épines congolaises, parce qu’elles sont aussi au coeur même de ce vaste amour pour l’Afrique qui étreint
tous les panafricanistes malgré parfois, les difficultés évidentes de la tâche.
Je dois remercier Monsieur Maman SIDIKOU pour son aide constant et tous les experts qu’il met à notre
disposition sans oublier les conseils de qualité qu’il partage au quotidien avec moi.
Oui seul l’Amour pour l’Afrique nous guide.
Pour remettre en quelques phrases les choses en contexte, permettez-moi de dire que je ne suis donc pas
venu ici pour embrasser en particulier, la cause de X ou de Y. Je ne suis pas venu ici pour me mettre à la
disposition de causes partisanes. Je suis venu ici pour servir le Congo et pour servir l’Afrique. C’est la
raison pour laquelle, très tôt, dès ma nomination je me suis lancé sans retenue dans le travail qui est celui
du facilitateur. C’est dans cet esprit de dévouement, cet esprit de désintéressement total que j’ai décidé de
rencontrer toutes les forces vives de cette nation de manière à faire en sorte qu’on se retrouve ensemble
autour d’une table pour construire l’avenir et bâtir le futur.
Dès le mois de février 2016, j’ai commencé mes activités ici. A Tout Seigneur tout honneur, je dois
reconnaître pour m’en féliciter que l’UDPS a été le parti d’opposition à avoir accepté de nous rencontrer.
En mars, j’ai poursuivi ces activités jusqu’à être terrassé par la maladie. C’est en pleine convalescence
que j’ai eu à présider la réunion historique qui s’est tenue entre la mouvance présidentielle dirigée par M.
Néhémie WILONDJA et la sensibilité de l’opposition UDPS à l’hôtel Raphael à Paris. Cette rencontre a
permis d’entériner un document élaboré et signé par les deux parties, définissant de la façon la plus
complète que possible, la composition du dialogue, sa structuration et son fonctionnement. C’est ainsi que
nous avons pu régler la question du comité préparatoire, désigner les membres qui doivent en faire partie,
avec pour l’Opposition, une délégation de l’UDPS avec des mandats dûment signés par le président du
parti lui-même et que nous avons encore dans nos archives. De retour à Kinshasa, ce document a été de
nouveau confirmé dans les séances de travail officielles où des répartitions des postes dont 12 pour la
sensibilité présidentielle, 12 pour l’opposition et 6 pour la société civile ont été corroborées et adoptées
par les plus hautes instances de l’UDPS, cette fois-ci, au grand complet à l’exception du président luimême
qui était retenu pour raison de santé à l’étranger.
Par ailleurs, devant les nouvelles exigences répétées concernant la nécessité d’un panel international,
après plusieurs concertations, nous avons agi promptement en mettant sur pieds le Groupe de soutien,
composé de la francophonie, l’Union européenne, des Nations unies, l’Union africaine elle-même, la
SADEC et la CIGRL. Cependant, établir cette vérité historique nécessaire ne m’empêche pas et ne
m’empêchera pas de continuer à déployer tous les efforts, en plein midi ou dans la plus grande discrétion,
directement ou par personne interposée pour que la main tendue, cette paume ouverte en direction du
Rassemblement soit attrapée pour que toute la famille se réunisse au grand complet et que les irritations
du moment une fois digérées, puissent dans cette même salle, fonder des amitiés durables et historiques !
Cela aussi, le Congo l’exige de nous.
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes ainsi arrivés à la dernière étape, l’étape cruciale de notre entreprise et Nous travaillons
toujours d’arrache-pied pour conduire ce processus à bon port. Depuis janvier, quand nous avons été
désignés par la Présidente de la Commission de l’Union africaine (UA) comme Facilitateur, nous n’avons
pas lésiné sur les efforts. Durant des mois, nous avons fait le porte à porte à Kinshasa, effectué de
multiples voyages entre Kinshasa, Addis-Abeba, Luanda, Paris, Bruxelles
(3 fois), sans oublier les nombreuses traversées du Fleuve Congo…
Tout cela, pour mener une « diplomatie de contacts directs » qui a permis la rencontre de personnalités
précieuses, Congolais et non congolais, et qui pour cet amour de l’Afrique, ont été présent jour et nuit,
soit pour anticiper les écueils soit pour dessiner les contours d’une solution. Des portes nous ont été
largement ouvertes, d’autres entrouvertes, mais toutes ont contribué et permis d’arriver à cette étape. Je
les remercie tous et leur indique que le plus difficile reste à venir ! Qu’ils ne baissent pas encore les bras.
Aux membres du Groupe de soutien ici présents, venus de loin et à ceux qui n’ont pas pu faire le
déplacement de kinshasa, j’exprime toute ma gratitude pour cette part du travail accompli.
Nous entamons donc la dernière étape du processus et le lancement de ces travaux a été rendu non
seulement possible par les conclusions du Comité préparatoire qui s’est réuni à l’Hôtel Béatrice du 23 au
27 août 2016, mais seront guidés elles ; conclusions cosignées et consignées dans le document dénommé
« Feuille de route ». Elle énonce les principes conducteurs et les structures du dialogue, propose les
principaux sujets à l’ordre du jour, établit les droits et devoirs des participants. Je dois saluer ici les
membres du Groupe de travail, ces pionniers, qui malgré les vents et bourrasques contraires et les
incertitudes des uns et des autres au début du processus, ont fait preuve de courage et ont accepté de
sauter dans l’inconnu. C’est aussi l’occasion d’adresser mes vifs remerciements aux membres du Comité
préparatoire pour leur diligence, leur sens du compromis et d’ouverture qui ont permis de conclure ces
travaux en si peu de temps.
Mesdames et Messieurs les délégués au Dialogue,
Conformément à la Feuille de route, vous êtes 68 hommes et femmes à représenter la Majorité
présidentielle et autant pour l’Opposition politique. La Société civile a 39 représentants auxquels
s’ajoutent 25 personnalités congolaises. Cet ensemble aura la redoutable tâche de porter sur ses épaules,
les préoccupations de l’heure de tous les congolais, les 75 millions et surtout d’y apporter des réponses. Je
n’ai pas de doute que vous mesurez les exigences de cette mission certes exaltante mais délicate qui vous
est confiée. C’est une opportunité qui vous est accordée, mais aussi un défi qui vous est lancé. Soyez à la
hauteur pour marquer l’histoire.
Je tacherai tout de même, en ma qualité de Facilitateur, qu’il en soit ainsi.
Les bases de ce processus de dialogue sont claires, et elles ont été rappelées par certains de mes
prédécesseurs. Elles sont fondées sur la Constitution congolaise et la Résolution 2277 du Conseil de
sécurité des Nations unies. L’objectif ultime est de réfléchir, d’échanger et de débattre, en toute liberté et
sans contrainte, des voies et moyens pour organiser des élections crédibles, transparentes, apaisées et
inclusives en RDC, dans le respect de la Constitution et conformément aux autres textes et instruments
juridiques et normatifs nationaux et internationaux pertinents.
La Feuille de route a décliné les principaux sujets inscrits à l’ordre du jour de nos travaux. Elle a
également défini les structures du dialogue, tout en nous laissant la latitude de créer des structures ad hoc
nécessaires pour faire avancer les discussions. Les parties peuvent également tenir des consultations
régulières entre leurs délégués aux fins d’harmonisation des points de vues. Mais ce qu’il faut retenir
est que l’Assemblée plénière du dialogue dans laquelle se retrouvent tous les délégués sera le cadre
ultime de validation des conclusions et recommandations issues de tous les autres cadres du Dialogue
national.
Mesdames et Messieurs,
Oui c’est vrai, le Congo, par sa taille et ses surdimensions est un singulier pluriel. La lancinante question
qui se pose à lui est de relever la tête et de démontrer à la face du monde qu’il peut bien prendre son
destin en main, en oeuvrant avec hardiesse pour une plus grande unité politique. Vous êtes et vous serez
les artisans de cet ouvrage. Vous le devez aux millions de Congolaises et Congolais qui fondent tous leurs
espoirs sur cette communion et ce forum. Vous ne pouvez pas, vous ne devez pas les décevoir.
En Janvier 1789, à la veille de la Révolution française, l’Abbé SIEYES dans sa célèbre brochure sur le
Tiers-Etat écrivait :
« Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? TOUT.
Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.
Que demande-t-il ? A être quelque chose ».
Cette célèbre interrogation pourrait être appliquée au Congo d’aujourd’hui. Car cela me paraît bien
évident, le Congo est effectivement Tout. Tout par son immense potentiel, sa massivité, son foisonnement
culturel incomparable. Il n’était rien dans la nuit coloniale. Il est devenu quelque chose après
l’indépendance mais il faut être mieux encore parce qu’il est précieux, parce qu’il est cher à nos coeurs.
Vous êtes les auteurs des pages nouvelles de l’Histoire Congolaise. Je sais que les femmes et les hommes
ici réunis en ont le talent et le génie. Il vous suffira de les accompagner de la sagesse nécessaire et la
victoire sera certaine.
Vive la République Démocratique du Congo ! Vive l’Afrique !
Je vous remercie