En RD Congo, chaque heure et chaque jour qui passent apportent leurs lots de contorsions d’une démocratisation aux allures bizarres. Au propre comme au figuré. Ainsi en est-il de cette affaire judiciaire qui concerne l’ancien gouverneur de l’ex. Katanga, Moïse Katumbi Chapwe. Poursuivi pour crime de recrutement de mercenaires et formellement inculpé par les magistrats de la cour d’appel de Lubumbashi la semaine dernière, avant d’être autorisé à se faire soigner en Afrique du Sud, l’homme semble jouir du bénéfice d’une sorte d’immunité par une certaine « communauté internationale »au motif qu’il s’est déclaré candidat à une élection présidentielle dont nul, en RD Congo comme à l’Etranger, ne connaît ni le jour, ni même le corps électoral. Il lui a suffi d’annoncer sa fameuse candidature à la présidence, le 4 mai dernier, pour que tout se passe comme s’il devait ipso facto être soustrait de toute poursuite judiciaire. D’un peu partout des voix se sont élevées au mépris de l’indépendance de la justice, pourtant une des valeurs cardinales en démocratie.
La communauté internationale à la rescousse
Au Département d’Etat US, Mark Toner, un porte-parole adjoint, se fend d’un communiqué qui déplore « l’intimidation de leaders de l’opposition ». Même son de cloche chez l’Envoyée Spéciale Britannique dans la Région des Grands Lacs. Danaé Dholakia se déclare carrément « profondément préoccupée par l’émission d’un mandat d’arrêt provisoire à l’endroit de M. Moïse Katumbi, une décision qui semble faire partie d’une campagne croissante d’intimidation des opposants politiques … ». On peut ajouter à ces assauts en règle et concertés contre les institutions judiciaires de la RD Congo la réaction du ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, à l’annonce de l’inculpation de Moïse Katumbi Chapwe : il a réitéré son appel au « maintien d’un espace politique ouvert » au pays de Lumumba, déjà exprimé lors d’un récent séjour à Kinshasa. Tout se passe ainsi comme si la démocratisation en RDC était suspensive du fonctionnement normal et régulier des institutions, notamment de la justice, à en juger par ce concert de salves assassines.
Plus de plénitude de l’action publique ?
Mais il y a peut-être pire, en cette façon de tourner systématiquement en dérision l’ordre judiciaire existant. Dans l’affaire Katumbi, des voix se sont élevées pour dénier au Procureur Général de la République, Flory Kabange Numbi, la plénitude de l’action publique, pourtant reconnue à tous les Procureurs Généraux de la République à travers le monde. Ainsi, selon un confrère kinois qui semble refléter le point de vue de la « communauté internationale », le Parquet Général de la République que dirige depuis Kinshasa cet austère magistrat qui consacre l’essentiel de son temps libre à… la Bible ne serait pas habilité à rendre public le communiqué sanctionnant la fin de l’instruction pré-juridictionnelle entreprise par les Procureurs Généraux à Lubumbashi. Comme si ces derniers auraient dû fonctionner en parfaite indépendance par rapport à l’office du PGR à Kinshasa. Une sorte de « révolution démocratique » du Ministère Public congolais qui, dans le cas d’espèce, semble de nature à phagocyter proprement l’unicité de l’action policière à travers le pays. Mais qu’importe, pour ces pourfendeurs d’un ordre institutionnel que l’on veut coûte que coûte balayer, quitte à tout recommencer, sans doute avec des gens plus « dociles » face aux intérêts des maîtres du monde…
Manœuvres narcissiques
En RD Congo, la démocratie est bel et bien déboussolée, du fait de manœuvres narcissiques et égocentriques d’acteurs politiques sans grands scrupules éthiques. Il semble ainsi qu’en matière de fiscalité et d’impôts, il suffise aussi de jouir de quelque notoriété politique pour se soustraire au fisc. Un secteur de la vie économique qui, dans les pays dits démocratiques et développés qui n’hésitent pas à se déployer en exemples à suivre, ne souffre pas de la moindre complaisance. Au pays de Lumumba, c’est tout le contraire. Les affaires Dr Denis Mukwege et Martin Fayulu en disent plus long que tout discours sur la question. Le premier, gestionnaire d’une institution hospitalière au Sud-Kivu avait eu maille à pâtir avec la section provinciale de la Direction Générale des Impôts (DGI) pour non versement des cotisations des employés de l’Hôpital de Panzi au Sud-Kivu. Et le second, patron d’un petit parti politique kinois, s’est prévalu de son activisme politique pour être bruyamment soutenu par les « démocratiseurs » de la communauté internationale dans sa campagne tonitruante de dénonciation des poursuites dont il fait l’objet de la part des services du fisc de la ville province de Kinshasa, qualifiées de « harcèlements politiques ». Comme quoi, l’impôt c’est les autres lorsqu’on est acteur politique doublé de salarié, gestionnaire ou homme d’affaires en RDC.
L’armée n’est plus cette grande muette universelle
Les pédales, la démocratie en RD Congo les perd inexorablement au quotidien, donc. Comme lorsque des membres de la société civile sans aucune compétence ni mandat en la matière s’époumonent pour être associés à l’évaluation des opérations militaires entreprises dans le cadre de la traque des forces négatives à l’Est du pays. Faudrait-il donc, en matière de sécurité et de défense, tout démocratiser et partager avec le premier venu les stratégies, tactiques et astuces militaires mises en œuvre par les forces gouvernementales pour démanteler les forces négatives auxquelles elles sont confrontées à l’Est ?
L’opinion peut pourtant se souvenir de toute cette chape de secret dont les Etats-Unis avaient entouré la désormais célèbre opération Tempête du Désert en Irak. Le pays de Barack Obama n’est pourtant pas le moins démocratique du monde, tout de même. Hélas, en RD Congo, l’air du temps commande qu’avant de s’attaquer aux terroristes des ADF qui endeuillent au quotidien le Grand Nord Kivu Nande, il faille préalablement discuter « démocratiquement » des plans d’attaques, de l’armement et d’unités engagées ou à engager avec la société civile !
Pas de huis-clos au parlement au nom du droit à l’info
Dans le contexte de ce vaste désordre d’idées, une ONG de défense des droits des journalistes s’est insurgée avec véhémence et conviction contre un huis-clos décrété le plus régulièrement du monde au cours d’une plénière à l’assemblée nationale au sujet d’une institution bancaire de Kinshasa, en délicatesse avec sa clientèle depuis plusieurs semaines, sur requête du Gouverneur de la Banque centrale du Congo pour des raisons évidentes. Pour ne pas aggraver la désaffection des guichets de cette banque, le président de la séance avait jugé opportun de ne pas énerver davantage la situation déjà critique de la banque en décrétant un huis-clos. La réaction de l’ONG de défense des droits des journalistes laisse croire que ceux-ci sont plus importants que ceux des épargnants, des employés de la banque menacée de faillite, et de l’Etat rd congolais. Si ce n’est pas la chemisette à l’envers …
J.N.
L’AIR DU TEMPS : Quand la démocratie perd la tête en RD Congo (2)
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