Le 20 mars dernier, les Béninois ont conforté le statut démocratique de leur pays en élisant, au terme d’un scrutin au suffrage universel ouvert à deux tours, celui qui présidera aux destinées du Bénin pendant les cinq prochaines années. Cerise sur le gâteau, Patrice Talon le nouvel élu qui a prêté serment ce 6 avril 2016 a dit et confirmé qu’il ne ferait qu’un seul mandat de cinq ans. L’exemple béninois peut-il inspirer d’autres pays africains ?
Depuis la Conférence nationale souveraine de février 1990, le Bénin est entré dans le cercle vertueux du renouvellement démocratique de son personnel politique. En un quart de siècle (1991-2016), l’ancien royaume du Dahomey a organisé six élections présidentielles et connu quatre présidents. Une exception en Afrique francophone où le peuple doit s’habituer à un même visage présidentiel pendant : 42 ans (feu Omar Bongo pour les Gabonais), 34 ans (Paul Biya pour les Camerounais), 32 ans (Denis Sassou N’Guesso pour les Congolais), 26 ans (Idriss Déby pour les Tchadiens), etc.
1- Une constitution démocratique rigoureusement respectée
Après plusieurs décennies d’instabilité politique caractérisée par une succession de coups d’Etat, le Bénin tourne la page du dirigisme en organisant la première Conférence nationale du continent africain en février 1990. En décembre de la même année, le pays se dote d’une Constitution. Celle-ci jette les bases du futur Etat et en confirme l’option démocratique. En effet, la Constitution du 11 décembre 1990 autorise le multipartisme, le suffrage universel, reconnait la liberté d’expression et de presse…
Grâce à la Constitution de 90, toute personne d’origine étrangère ayant acquis la nationalité béninoise peut prétendre à tout poste électif ou être nommée à tous les niveaux des institutions nationales. C’est sur cette base juridique que Lionel Zinsou ayant les nationalités béninoise et française a été nommé premier Ministre par l’ex-président Boni Yayi. Quoique d’origine haïtienne et togolaise, Conceptia Ouinsou et Elizabeth Pognon ont par exemple présidé la Cour constitutionnelle du Bénin. Une exception dans un continent où l’on recoure très souvent à l’arbre généalogique pour disqualifier tel ou tel candidat. On l’a vu avec l’ « Ivoirité » en Côte-d’Ivoire.
Inventée par Henri Konan Bédié, bien avant l’arrivée de Laurent Gbagbo, l’Ivoirité visait à écarter Alassane Ouattara de la course vers la présidentielle en raison de ses origines burkinabées. La crise postélectorale qui a causé 3 000 morts aux pays des Eléphants y tire ses origines lointaines. Depuis deux ans, les adversaires de l’actuel président gabonais Ali Bongo entendent s’appuyer sur sa nationalité nigériane présumée pour le disqualifier de la course pour un nouveau mandat.
De Nicéphore Soglo à Yayi Boni en passant par Mathieu Kérékou, la Loi fondamentale du Bénin a été respectée. Et le pouvoir suprême est passé d’une main à l’autre sans effusion de sang ni éclat de voix.
2- le rejet de l’argent-roi
Même si le Bénin est l’un des rares pays où la présidence est particulièrement convoitée par des gens qui disposent d’une grande surface financière, il ressort de la présidentielle du 20 mars 2016 que l’argent seul ne suffit pas pour devenir président au pays des Amazones. La première fortune du Bénin à savoir Sébastien Ajavon a été battue à plate couture lors de la dernière présidentielle. On retient que si la campagne électorale a été émaillée par quelques cas de distribution d’enveloppes et autres cadeaux, ces derniers ne garantissent pas la victoire à ceux qui les distribuent. Autant dire que le vote des Béninois n’est pas un produit marchand. Malgré leur matelas financier, les candidats qui espèrent devenir président doivent présenter un projet de société réaliste, se montrer proche du peuple qui se préoccupe plus de son devenir qu’il ne se laisse impressionner par la fortune d’autrui.
3-Au Bénin, la Françafrique et Bolloré n’ont plus le dernier mot
Depuis les indépendances en 1960, la France a toujours voulu garder la main sur ses anciennes colonies. Au temps de Jacques Foccart, conseiller chargé des Affaires africaines à l’Elysée, Paris recourrait au montage financier, au soutien militaire pour maintenir ou restaurer à la tête des pays africains des régimes qui lui font allégeance. C’était la Françafrique d’Etat. Depuis quelques années l’on assiste à une mutation du monstre françafricain. Mutation caractérisée par une implication des hommes d’affaires français et leur multinationale dans le processus électoral en Afrique.
Le Bénin en est un exemple à double titre. A six mois de la présidentielle béninoise de février-mars 2016 et à la surprise générale, l’un des architectes de la Françafrique nouvelle version (Françafrique des hommes d’affaires et des multinationales) est bombardé à la tête du gouvernement béninois. Son nom ? Lionel Zinsou. Les Béninois ne lui reconnaissent pas un passé politique. Mais Lionel Zinsou a ses habitudes à l’Elysée, au Quai d’Orsay… Il affiche fièrement sa proximité avec les hommes d’Etat français qui n’hésitent pas souvent à lui confier des missions « stratégiques ».
Peu de temps après sa nomination comme premier ministre au Bénin, M. Zinsou confiait le 7 décembre 2015 à Christoph Boibouvier de RFI que lorsqu’il a été contacté par le président Boni Yayi pour prendre la tête du gouvernement, il a téléphoné à Laurent Fabuis, ministre français des Affaires étrangères qui lui a dit d’y aller. Lionel Zinsou est l’un des rédacteurs de la nouvelle bible de recolonisation de l’Afrique publiée en décembre 2013 avec pour titre : Un partenariat pour l’avenir. 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France. Il s’agit d’un rapport commandé par François Hollande nouvellement arrivé à l’Elysée. Le projet vise à comprendre les raisons de la perte par la France de ses parts de marché en Afrique et surtout examiner les secrets de la montée de la Chine qui est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique.
Les masses populaires béninoises ont suivi le mot d’ordre tacite qui est en train de faire le tour de l’Afrique depuis la déportation à la Haye de Laurent Gbagbo et l’assassinat de Kadhafi quelques mois après ; à savoir : « à bas la Françafrique ! ». Ce qui était un atout hier est devenu un obstacle. Dans le même sillage, Havas l’agence de communication de Vincent Bolloré a essuyé une défaite qui devrait faire comprendre à ceux qui en doutaient encore que les Africains entendent librement choisir leurs dirigeants. Sixième agence publicitaire dans le monde, Havas (dirigée par Yannick Bolloré) était chargée de planifier et d’organiser la campagne du milliardaire Sébastien Ajavon. Le milliardaire et Havas ont essuyé une grosse déculottée. Le candidat-de fait- de Bolloré a été battu dès le premier tour ! On constate aisément que la Françafrique et le groupe Bolloré qui contrôle les ports africains, les chemins de fer et autres pans de l’économie du continent ne sont plus les faiseurs de rois en Afrique.
4- Le soutien du président sortant n’est pas une panacée
Feu Omar Bongo qui a régné à la tête du Gabon pendant 42 pour y être succédé en 2009 par son fils Ali disait qu’ « en Afrique on n’organise pas une présidentielle pour la perdre ». La règle vaut encore au Congo où Denis Sassou N’Guesso vient d’être réélu au premier tour après…30 ans au pouvoir. En Ouganda où Yoweri Museveni a été déclaré élu en février 2016 pour un 5ème mandat après 30 années passées à la tête de son pays.
Au Bénin, le président sortant ne pouvait pas se représenter. La Constitution le lui interdisait. Afin de partir pour mieux rester, Yayi Boni a préparé un remplaçant en la personne de Lionel Zinsou. Comme indiqué plus haut, ce dernier est nommé Premier ministre à quelques mois de l’élection présidentielle pour être investi par les Forces cauris pour un Bénin émergent, parti de Yayi Boni à la veille du scrutin.
Yayi Boni contre qui certains candidats annonçaient l’ouverture d’enquêtes judiciaires au cas où ils étaient élus a apporté son soutien à son poulain. Hélas, le soutien du président sortant n’est pas un gage de victoire. Et nos deux économistes en reconversion dans la politique viennent de l’apprendre à leurs dépens.
5- De la démocratie dans un temple vaudou
Qui n’a jamais entendu des ethno-anthropologues et autres « spécialistes de l’Afrique » qui écument les plateaux TV dire que « les traditions africaines, par leur irrationalité, sont un obstacle à la démocratisation du continent » ? Pour accéder à la démocratie et au développement, « l’Afrique doit renoncer à ces pratiques barbares », ajoutent-ils. Les pratiques religieuses africaines comme le vaudou, le culte fait au crâne par exemple sont fustigées. Autant que la polygamie, le communautarisme…
Le vaudou est une tradition religieuse très répandue au Bénin où les temples sont plus nombreux que dans tout autre pays de l’Afrique continentale. Le Bénin fait même office de terre de recueillement pour les adeptes du vaudou. Parallèlement, la démocratie s’y enracine. Comme quoi on n’est pas obligé de renoncer à sa tradition pour devenir démocratique.
OLIVIER A. NDENKOP
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Source : Journal de l’Afrique- Investig’Action, avril 2016