Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a adopté, le 30 mars 2016, une nouvelle résolution sur la République Démocratique du Congo. Un texte d’une cinquantaine de paragraphes regroupés en dix chapitres (Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération, Situation politique, Droits de l’Homme, Groupes armés, Mandat de la MONUSCO, Protection de l’enfance et violences et sévices sexuels, Accès humanitaire, Appui au Groupe d’experts, Transformation de la force et stratégie de retrait, Rapports du Secrétaire général). C’est tout dire : tout s’est passé comme si le Conseil de sécurité avait tenté de dissimuler un embarras réel à travers un texte fleuve. Qui, hélas, renferme des contradictions, des non-dits et même quelques absurdités qui le destinent à un avenir plutôt incertain. En atteste, cette réaction d’André Alain Atundu, le porte-parole de la majorité présidentielle, qui a indiqué qu’il s’agissait de simples recommandations, rappelant au passage que de nombreuses autres résolutions du Conseil de sécurité sur Israël, le Liban ou la France sont demeurées lettres mortes.
Décriée dès l’adoption
Bien avant André Alain Atundu, Ignace Gata Mavita, l’ambassadeur de la RD Congo près les Nations-Unies, avait vertement critiqué la 2277, reprochant notamment au Conseil de sécurité d’avoir empiété sur les attributions qui relèvent de la Commission Electorale Nationale Indépendante. Le plénipotentiaire rd congolais faisait sans doute allusion à la sorte d’ordre de préséance des scrutions proposée par la résolution. Selon lui, la résolution trahit « un manque de souplesse susceptible de nuire à l’ambiance de travail sur le terrain et de plomber le nouvel état d’esprit instauré par le nouveau leadership de la Mission ».
Naturellement, dans les rangs de l’opposition politique rd congolaise, beaucoup se réjouissent d’une résolution qui souligne que les élections, la présidentielle et les législatives notamment, doivent se tenir dans les fameux délais constitutionnels. A Kinshasa, Martin Fayulu Madidi, candidat déclaré à la prochaine présidentielle pour le compte d’un petit parti politique, l’Ecidé, et d’une plate-forme qui n’a plus de plate-forme que le nom, les « Forces Acquises au Changement », a rendu public un long pamphlet. « … Nous soutenons la Résolution 2277 qui prolonge le mandat de la MONUSCO en renforçant ses priorités stratégiques telles que reprises du point 24 au point 45 de la Résolution. Nous considérons qu’il s’agit là d’un message fort de la Communauté internationale, expression de sa détermination à ne point accepter que les énormes sacrifices consentis et tous les efforts déployés depuis 2001 pour rétablir et garantir la paix, la stabilité et le développement de la RDC aient été vains. Il est impératif que les élections présidentielle et législatives nationales se tiennent en novembre 2016, dans le respect de la constitution ».
A boire et à manger
En réalité, il y a à boire et à manger dans la Résolution 2277, qui soutient ci et là une chose et son contraire, parfois. Rien que sur cette question de délai constitutionnel, le même texte malmène la constitution qu’il prétend soutenir en marchant allègrement sur l’indépendance de la Commission Electorale Nationale Indépendante, comme l’avait déjà souligné, le 30 mars dernier, l’ambassadeur rd congolais Ignace Gata. Il n’appartient sûrement pas au Conseil de sécurité des Nations-Unies de se substituer aux institutions constitutionnelles d’un Etat membre pour leur imposer un contenu comme les auteurs de la Résolution le font allègrement à l’endroit de la CENI rd congolaise. Ce faisant, le Conseil de sécurité a violé l’indépendance de centrale électorale qui s’impose aussi à lui.
Mais il y a mieux, ou pire : en son point 9, la Résolution « Invite la Commission Electorale Nationale Indépendante à publier un calendrier complet révisé couvrant la totalité du cycle électoral, demande au Gouvernement de la République Démocratique du Congo d’élaborer rapidement un budget et un code de conduite pour les élections et d’actualiser les listes électorales en toute régularité afin que les élections puissent se tenir dans les temps … ». On le sait pourtant par expérience en RD Congo, un calendrier complet ne saurait ne pas s’étaler au-delà de novembre 2016 ; la révision du fichier électoral, la CENI l’a déjà fait savoir, étirera le processus électoral au-delà de 12 mois, voire plus. Au cours d’un récent séjour aux Etats-Unis, le président de la CENI, Corneille Nangaa, l’a expliqué à ses nombreux interlocuteurs, y compris aux experts des Nations-Unies à New York où il avait été reçu récemment : il n’y a d’élections possibles dans les « délais constitutionnels » en question qu’avec le fichier électoral désuet de 2011 dont tout le monde connaît le degré de corruption : décédés non-élagués, majeurs et rd congolais non enrôlés contrairement aux prescrits de la constitution et des textes légaux, etc.
Recommandations contredites
Reste encore la question du renouvellement du mandat de la MONUSCO, sur laquelle le Conseil de sécurité a délibérément marché sur la souveraineté d’un Etat membre de l’ONU. L’ambassadeur Ignace Gata l’a aussi dénoncé, le 30 avril dernier, en déplorant une résolution « qui a choisi d’ignorer les points de vue pertinents de la RDC » relatifs à la réduction progressive de la force onusienne. La RD Congo et la Monusco étaient en effet en dialogue stratégique sur la question depuis plusieurs mois, selon les recommandations d’une précédente résolution du même Conseil de sécurité. Si ces discussions avaient littéralement piétiné sous le leadership de l’allemand Martin Köbler, l’arrivée du Nigérien Maman Sidiku a eu le don de relancer positivement les échanges entre les parties. Un accord de reprise de la coopération, assorti du tout premier compte-rendu du dialogue stratégique RD Congo-Monusco (autour du retrait progressif des casques bleus) a été dûment signé et rendu public le 19 mars 2016, quelques jours seulement avant la réunion du Conseil de sécurité. Le dernier document co-signés par le chef d’Etat-Major de la force onusienne et le chef de la délégation rd congolaise au dialogue stratégique recommandait la réduction du nombre des casques bleus, voire, à la limite d’une force de protection du personnel onusien dans toutes les zones de déploiement de la Monusco, sauf au Nord-Kivu, terrain d’importantes opérations contre des groupes armés terroristes, selon une information de la RFI.
En maintenant à quelque 20.000 hommes l’effectif des casques bleus, la Résolution 2277 a contredit une autre Résolution du Conseil de sécurité avec comme conséquences la remise à plat les pourparlers en vue de la reprise de la coopération Fardc-Casques bleus et des nouvelles difficultés en perspective dans une coopération positive qui s’amorçait entre la RD Congo et la Monusco.
Bien plus, en allant carrément à l’encontre des recommandations pertinentes d’un Etat membre de l’ONU relatif à la présence sur son territoire de la force onusienne, le Conseil de sécurité repose crument la question de la souveraineté d’un pays auquel on impose ce qu’il ne demande pas, donnant l’impression d’une mise sous tutelle qui ne dit pas son nom et contre laquelle les Congolais se mobiliseront à n’en pas douter. En RD Congo, nombre d’observateurs le notent depuis plusieurs années : à l’approche des dates de fin de mandat des casques bleus, des troubles redoublent à l’est du pays. Comme s’il fallait coûte que coûte justifier la présence de plusieurs dizaines de casques bleus ad aeternam. L’enfer commence à gêner, à l’évidence. Certains au pays de Lumumba estimant désormais que l’occupation du pays par quelques Etats voisins au début des années 2000 aura été substituée par celle, plus subtile, des troupes onusiennes. L’hypothèse n’est pas aussi saugrenue qu’on le croirait.
J.N.