Le Groupe d’Etudes sur le Congo (GREC) a rendu public le 21 mars 2016 un rapport, un de plus d’un groupe d’étude de plus, sur les tueries qui font rage dans la région de Beni-rural au Nord-Kivu. Le document de quelque 44 pages est subdivisé en 5 parties, sans compter les annexes : un résumé assorti de recommandations ; une introduction ; une présentation des faits ; l’identification des tueurs, assortie d’une évaluation des hypothèses ; ainsi que des conclusions.
Au chapitre du résumé et des recommandations, les rapporteurs rappellent que c’est depuis octobre 2014 que dans les environs de la ville de Beni se perpètrent des massacres : plus de 500 personnes ont été tuées et des dizaines de milliers d’habitants ont dû fuir leurs foyers. Le gouvernement rd congolais et la Monusco ont attribué ces tueries aux rebelles ougandais de l’ADF. Mais après enquêtes et entretiens conduits auprès d’une centaine de témoins oculaires, le GREC estime que la responsabilité des massacres ne peut être attribuée aux seuls ADF. « En plus des commandants qui appartiennent strictement aux ADF, certains membres des forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), des anciens du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani/Mouvement de Libération (RCD-K-ML), ainsi que des membres des milices communautaires sont aussi intervenus dans les attaques contre la population civile », écrivent les auteurs du rapport. L’ennemi a été mal identifié, selon eux.
Suivent des recommandations qui se résument en demandes d’enquêtes gouvernementale, onusienne et parlementaire.
La présentation des faits reste conforme à l’orientation indiquée dans le résumé. Les rapporteurs avancent que si les ADF sont en grande partie responsables des tueries de Beni, ils n’en sont pas les seuls responsables. Les rebelles présents depuis plus de 20 ans dans la région se sont profondément enracinés dans la société locale et ont tissé des liens avec des groupes armés locaux, ainsi que des soldats FARDC.
Il est également rapporté que les massacres ont connu un mode opératoire varié qui suggère la multiplicité de groupes impliqués, même si les armes blanches ont été les plus utilisées. Mais aussi, que « La langue parlée par les assassins est probablement l’aspect le plus abordé dans les rapports sur les massacres. Chaque langue ouvre des pistes sur l’identification des tueurs. Celle qui serait la plus répandue parmi les assassins est le kiswahili, suivi respectivement par le Kinyarwanda, le lingala et le luganda ».
Qui sont les tueurs ?
On pourrait, à la lecture du rapport du GREC, conclure laconiquement que ce ne sont pas les ADF, parce que ce groupe rebelle s’est enraciné dans la société locale au point de ne plus pouvoir être distingué des autochtones. « A partir de 1988, le groupe s’est intégré dans la société congolaise. Des commandants ougandais ont épousé des femmes congolaises et se sont investis activement dans le commerce transfrontalier de bois, de minerais, ainsi que dans l’agriculture. Les leaders locaux ont bénéficié de la puissance militaire des ADF-Nalu, et, en contrepartie, ces mêmes leaders ont aidé les rebelles ougandais à se cacher au moment des attaques de l’armée ougandaise et de ses alliés locaux ».
Le rapport du GREC suggère donc que l’implication des leaders locaux de Beni-rural transformerait les ADF en une sorte de groupe rebelle mixte de facto, qu’il y aurait eu une sorte de congolisation des ADF-Nalu. Les communautés locales qui s’estiment marginalisées se sont ainsi alliées aux rebelles ougandais. Mais aussi, avec des groupes rebelles, comme le RCD-K-ML de Mbusa Nyamuisi.
En conclusion, la responsabilité des ADF se limiterait aux massacres peu médiatisés de Kamango en 2013. Encore que la présence dans la région d’anciens soldats de l’Armée Patriotique Congolaise de Mbusa Nyamuisi commandés par Hilaire Kombi, qui entretenaient d’étroites relations avec les ADF, indiquent qu’ils auraient pris part à ces massacres aux côtés des rebelles ougandais.
Quant aux massacres perpétrés de 2014 à 2016, ils ne peuvent être imputés aux seuls ADF compte tenu, selon les auteurs du rapport, du fait des sources internes aux rebelles ougandais qui renseignent que leurs dirigeants se seraient rendus compte de l’existence d’autres tueurs sur le terrain, ainsi que l’indiquent leurs langues d’expression : le kinyarwanda et le swahili. Mais aussi, le fait qu’ils consomment de l’alcool dont l’interdiction est de stricte observation chez les ADF.
GREC accuse les Fardc
Le ministre de la communication et porte-parole du Gouvernement, Lambert Mende Omalanga, a fustigé le rapport du GREC qui, selon lui, absout totalement les rebelles ougandais pour faire porter le chapeau des massacres de Beni aux Fardc. Force est de constater, à la lecture du rapport rendu public le 21 mars dernier, qu’on n’est pas loin de cette affirmation (Texte du point de presse ci-attaché).
Le rapport soutient qu’au moins 42 témoignages (sur une centaine) dénoncent la complicité passive des FARDC qui refusent d’intervenir ou de poursuivre les assassins. Motifs avancés : les FARDC ne combattent pas la nuit, ou ne se déploient pas sans en avoir reçu l’ordre ou les renforts de Beni.
Plus grave, le GREC fait état de la participation directe des FARDC aux massacres. Mais à la lecture des témoignages recueillis, le lecteur se rend compte qu’il s’agirait, dans les cas les plus avérés, d’initiatives isolées qui ne peuvent être le fait d’un commandement hiérarchique. Les auteurs du rapport le reconnaissent, du reste, lorsqu’ils écrivent que « Néanmoins, il reste difficile de savoir exactement dans quelle mesure la hiérarchie de l’armée a été impliquée dans ces abus et quelles motivations auraient conduit certains de ses membres à y participer ». Mais aussi lorsqu’ils suggèrent qu’ »une animosité a éclaté au grand jour puis s’est enracinée au sein des FARDC entre les anciens du Congrès National pour la Défense du Peuple ou CNDP (parlant essentiellement le kinyarwanda) et leurs homologues ». En fait de FARDC, il s’agirait de franges des troupes loyalistes d’expression kinyarwanda issues du brassage avec le CNDP. Et non pas des FARDC en tant que forces armées nationales. Pourquoi ne pas le soutenir clairement au lieu de brouiller les faits ?
J.N.