« Blaise Compaoré est naturalisé Ivoirien ». La nouvelle est tombée comme un couperet. Soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara en 1987, Compaoré, poursuivi au Burkina, vient ainsi de sortir son joker. Devenu Ivoirien, il échappe à la justice de son pays d’origine qui ne pourra plus le juger ni le punir pour son rôle supposé dans les crimes de sang qui ont précédé, accompagné et suivi son long règne. Une douleur supplémentaire pour les familles des victimes qui rêvaient de justice !
On peut reprocher toutes les incompétences au duo Compaoré-Ouattara, sauf leur capacité à manœuvrer pour échapper à la justice. Pendant ses 27 ans de règne à la tête du Burkina-Faso, le premier a usé et abusé de son pouvoir pour empêcher que la vérité soit connue au sujet de l’assassinat de Thomas Sankara, son ex camarade d’armes et témoin à son mariage. A son arrivée à la tête de la Côte-d’Ivoire, après une grave crise post-électorale qui a fait 3 000 morts, le second a réussi à échapper au sort qui est aujourd’hui celui de son adversaire lors de cette présidentielle qui a tourné à l’affrontement. Finalement, tandis que Laurent Gbagbo est trainé devant la Cour Pénale Internationale, son rival dirige la Côte-d’Ivoire. Entre deux parties de chasse aux sorcières, le président Ouattara trouve le temps de se faire réélire (2015) en se délectant des lourdes peines qui sont infligées à Simone Gbagbo et à d’autres personnes soupçonnées proches de son prédécesseur !
L’espoir s’évanoui…
Thomas Sankara a rendu l’âme le jeudi 15 octobre 1987. Aujourd’hui, près de trois décennies plus tard, l’émotion est toujours forte. La douleur habite encore les cœurs. Tous ceux qui ont été marqués par les discours courageux et les actions humanistes de Sankara vivent dans l’espoir de connaître la vérité sur son assassinat et surtout de voir les auteurs et commanditaires enfin connus et punis. Cette attente, Mariam, la veuve de Sankara l’exprime dans l’interview que nous retranscrivons ci-dessous :
Je demande toujours la justice. Je me suis toujours battue pour que justice soit rendue à Thomas Sankara. Je veux simplement que la vérité soit dite sur la mort de mon mari. Il faut que l’on sache la vérité. Au moment où on parle de dialogue, de vérité et de réconciliation dans mon pays, je pense que la vérité peut permettre d’arriver à la réconciliation nationale.
Les autorités burkinabè avaient menti sur son certificat de décès en déclarant que Sankara avait été victime de « mort naturelle » alors que son corps était criblé de balles et sa famille a fini par accepter le fait accompli. La grande attente se résumait désormais à deux mots : Justice et Vérité. Qui a fait quoi et pourquoi en cette triste journée du 15 octobre 1987 ?
Alors que cette question tardait à trouver réponse, voilà qu’un décret d’à peine huit lignes vient remettre les compteurs à zéro. Il s’agit du décret N° 2014-701 du 17 novembre 2014 qui stipule en son article 1 que « Monsieur Blaise Compaoré, né le 3 février 1951 à Ouagadougou […] est naturalisé Ivoirien ». L’article 2 ajoute : « le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, des Droits de l’homme et des Libertés publiques est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié au journal officiel de la République de Côte-d’Ivoire ».
Conscients de la gravité d’une telle décision, ses auteurs et bénéficiaires ont d’abord tenu à la garder secrète. Question d’en différer les effets et les conséquences sur l’image (ou ce qu’il en reste) du président Alassane Ouattara et de son ami et parrain Blaise Compaoré. Signé le 17 novembre 2014 par Alassane Ouattara, ce décret de naturalisation n’a été publié qu’en janvier 2016. Néanmoins, c’est officiel : Blaise Compaoré est désormais Ivoirien.
Les conséquences d’une naturalisation
Le message est clair. La justice burkinabè qui avait lancé un mandat d’arrêt contre Compaoré pour « attentat contre la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat et complicité de recel de cadavre » doit s’armer de patience. Ce suspect d’un genre particulier ne se présentera pas devant les juges. En d’autres termes, Blaise Compaoré, aidé par son ami et mentor Alassane Ouattara, reste fidèle à sa stratégie : refuser de se présenter devant les juges pour répondre de l’assassinat de son ami Sankara que l’opinion lui attribue. Pourquoi ne pas se mettre à la disposition de la Justice s’il n’a rien à se reprocher ?
Et pourtant Blaise Compaoré qui recourt à une nationalité étrangère aujourd’hui pour fuir la justice de son pays a souvent indiqué qu’il est disposé à faire éclater la vérité dans les affaires qui mettent en cause son régime. « Pour tout ce qui concerne tous les dossiers judiciaires, je peux vous assurer qu’il n’y aura pas d’obstacles à ce qu’un dossier suive son cours de bout en bout dans notre pays. C’est l’Etat de droit que nous avons choisi et nous entendons assumer nos responsabilités en la matière » déclarait le président Compaoré sur les ondes de Radio France Internationale le 30 juin 2001. On y a cru un instant !
Les événements inattendus
A partir de 1987, Blaise Compaoré contrôle la situation dans son pays. Il est aidé en cela par les réseaux de la Françafrique, tapis dans l’ex Cellule Afrique de l’Elysée, à Matignon, mais aussi à Lomé, Abidjan, N’Djamena… Alors que la Justice ne l’a pas encore blanchi pour l’assassinat de Sankara et de ses 12 compagnons abattus lors du coup d’Etat qui le porte au pouvoir, Blaise Compaoré devient « médiateur sans frontières » en Afrique de l’Ouest. Il réussira même l’exploit d’être médiateur lors de la crise qui oppose Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara en Côte-d’Ivoire, alors que son implication dans le conflit en tant qu’allié de Ouattara n’est qu’un secret de Polichinelle. Tout se passe bien pour le « beau Blaise » jusqu’en 2011. Entre avril et juin, une vague de contestations engagées par les étudiants, suivis par les commerçants, trouble le sommeil de Compaoré. Pour ne pas arranger les choses, des mutineries éclatent dans l’armée et la police. Le Président Blaise Compaoré réagit en décrétant la dissolution du gouvernement. Il limoge les chefs de l’armée de terre, de l’air et de la gendarmerie Un calme relatif revient. Et l’homme fort de Ouaga veut en profiter pour modifier la Constitution afin de se porter candidat à la présidentielle de novembre 2015.
Il se met à dos le peuple. Le 31 mai 2014, l’opposition organise un grand rassemblement populaire pour marquer « le lancement d’une série de mesures et de dispositions” invitant à “une résistance citoyenne contre l’organisation d’un référendum visant à modifier l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels et empêche pour l’instant Blaise Compaoré d’être candidat en novembre 2015 ».
Mais l’homme ne recule pas. Le 21 octobre 2014, un Conseil extraordinaire des Ministres adopte un projet de loi portant sur la révision de la Constitution. Ce projet sera soumis à l’Assemblée Nationale en vue d’organiser un référendum afin de rendre possible la candidature de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle de novembre 2015. Le peuple descend dans les rues. Face à cette mobilisation record, Compaoré démissionne le 31 octobre 2014 et prend la route de l’exil. Un gouvernement de transition est installé à la tête du pays. Les affaires Thomas Sankara (1987) et Norbert Zongo (1998) dans lesquelles Compaoré et sa famille sont citées refont surface. Le Président de transition Michel Kafando et son gouvernement en font l’une des priorités, poussés en cela par le peuple qui a désormais voix au chapitre. Le 24 novembre 2014, le Président Kafando autorise l’expertise de la tombe attribuée à Thomas Sankara. Le train de la Justice est sur les rails. Le 5 mars 2015, le gouvernement autorise l’exhumation du corps du président Thomas Sankara, assassiné en 1987 lors d’un coup d’Etat, dans le but de l’identifier formellement.
Une semaine plus tard, soit le 13 mars, une Commission de réconciliation est officiellement mise en place pour enquêter sur des crimes du régime Compaoré. L’étau se resserre autour du Président déchu Le 16 juillet 2015, le Parlement de transition intérimaire vote la mise en accusation de Blaise Compaoré devant la Justice pour « haute trahison » et « attentat à la Constitution ». Parallèlement, la famille biologique de Thomas Sankara, ainsi que ses millions de filles et fils idéologiques disséminés sur toute la planète, ne cessent de demander justice. Pour nombre d’entre eux, il est seulement question pour les juges d’officialiser ce qui est présenté comme une « vérité indiscutable » : l’implication directe de Compaoré dans l’assassinat de Sankara. Le 4 décembre 2015, un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré est remis aux Autorités de Côte-d’Ivoire, terre d’asile de Compaoré. La justice le soupçonne d’avoir trempé dans l’assassinat de son ex-ami Sankara.
On le voit, Blaise Compaoré était en passe d’être rattrapé par son passé émaillé de crimes. La nationalité ivoirienne qui vient de lui être accordée est un bouclier juridico-politique qui lui permet de garder sa liberté. Mais, comme lui-même a pu s’en rendre compte, l’histoire a ses propres méthodes pour rendre justice. Et sa sentence est généralement sans appel.
CARLOS SIELENOU
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Source : Le Journal de l’Afrique 19 : Deux poids deux mesures