Ancien ministre français de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement aimait à répéter qu’ «un ministre, ça la ferme, ou ça démissionne». Dans un passé pas trop lointain, un certain Jean Nguz-A-Karl I Bond fonçait, «un ministre ça agit … avec force». Quand l’intrigue de l’acteur principal, de surcroît un membre de l’exécutif, ne tient qu’à des jérémiades…sinon des philippiques, l’effet recherché tourne en boomerang. Et les présomptions de connivence gagnent les esprits.
Zoom. Son excellence en ferait toute une complainte, ce livre de contes truffé de misereres. Des jérémiades, c’est son point fort. L’enfer, c’est toujours les autres, ces commis de l’Etat. Les docteurs ès péculat, c’est toujours eux, les maquilleurs des chiffres, des soldes, des traitements, bref, de la paie, toujours eux. Et alors, qui casse, paie. Zut.
Au ministère du Budget, les révélations de détournement des fonds destinés à la paie sont reparties de plus belle. Treize milliards et six cent millions de Francs congolais (14 832 671 USD) ont été détournés de l’enveloppe de rémunération des fonctionnaires de l’Etat au dernier trimestre de l’année 2015. C’est le résultat d’une enquête initiée par le ministre d’Etat en charge du Budget, Michel Bongongo.
Ces fonds sont détournés dans les ex-provinces de l’Equateur, du Kongo central, du Bandundu et des deux Kasaï. Le ministre du Budget dit avoir constaté ces irrégularités dans les secteurs de la santé, de l’enseignement supérieur et universitaire et l’enseignement primaire, secondaire et professionnel. En ce qui concerne, d’une part, les rémunérations, les résultats démontrent que des sommes importantes se percevaient avec des doublons dans les listes de paie, sur des personnes décédées, des déserteurs et des fictifs. «A la division provinciale de la santé du Kongo central, nous avons 547 agents mécanisés [reconnus par l’Etat et dont les noms figurent sur les listes de paie], dont 510 fictifs] », a affirmé Michel Bongongo.
En ce qui concerne par ailleurs les frais de fonctionnement, des montants importants sont versés pour des établissements fictifs. L’on se souviendra que courant 2015, le même ministre du Budget avait tour à tour, dénoncé que quelque 174 millions de FC sont, chaque mois, détournés lors de la paie, dans le secteur de la santé et 11 milliards de FC dans le secteur de l’EPSP (Enseignement primaire, secondaire et professionnel). « Le gouvernement a décidé au-delà des sanctions administratives de saisir des instances judiciaires. Vous n’allez plus vous étonner d’entendre que certains parmi vous vont aller à Makala » [la prison centrale de Kinshasa], a lancé le ministre au Budget aux fonctionnaires. Bien curieuse cette manière de gérer son monde et les sous du contribuable, le ministre du Budget a, en clair, pris soin d’alerter de «présumés» coupables de leurs prochaines arrestations…si jamais ils ne se volatilisaient pas dans la nature à l’image du comptable public principal des Affaires étrangères. L’homme dont le nom n’a jamais été révélé ni au ministère des Affaires étrangères ni au ministère des Finances s’est fait la belle avec une bagatelle somme de deux millions de dollars. Une plainte pour détournement des fonds publics aurait également été déposée auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Gombe. Ce fut le 14 décembre 2015. Deux mois après, plus personne n’en parle. Le patron du budget, ministre issu de l’opposition Kengiste en RD Congo, réputée pour sa rigueur, larmoie plutôt sur de nouveaux détournements. Sans pinces ni rires. En RDC, déplorent des ONG de lutte contre la corruption, quand on annonce la mise en place d’une commission d’enquête, des poursuites judiciaires, bien souvent, ça n’est qu’une manière de classer une affaire. Le député Thomas Lokondo s’est élevé, l’on se souvient, avec fougue du haut de la tribune de la chambre basse, pour dénoncer le silence de l’Etat face à l’affaire du détournement de 20 millions de dollars par l’ancien ADG de la Gécamines. Le dossier SNEL (RDC) et SNE (Congo) portant sur une transaction financière de 32 millions de dollars ne relève plus que de la préhistoire. Dans le classement 2015 de Transparency International sur la corruption dans le monde, publié le 27 janvier 2016, la RDC se classe 147e sur 167 pays. Membre du Réseau national des parlementaires contre la corruption, le député national Jean-Pierre Pasi Zapamba pense que la fin de l’impunité permettra de faire reculer la corruption. « La corruption la plus dangereuse c’est celle des décideurs. Le jour où nous aurons un procès de quelqu’un qui est soupçonné de corruption, qu’on le juge, qu’on l’arrête, qu’on récupère les biens volés au profit du trésor public, vous allez vous rendre compte que la situation de la société va s’auto-régulariser », estime le député Pasi.
POLD LEVI