L’appel à une ville morte lancée par l’opposition réunie sous le label du Front Citoyen 2016 n’a pas réussi à Kinshasa. A la mi-journée, la quasi-totalité des activités informelles dont vivent les kinoises et les kinois avaient fébrilement repris leur train-train quotidien. Même si, aux premières heures de la journée, les rues se sont avérées peu animées, incontestablement. Il est quasi certain que d’ici la fin de l’après-midi l’ensemble des kinois, rassurés, reprendront leurs activités. L’opposition aura donc échoué et révélé les faiblesses de la cuirasse.
Opposants en panne de crédibilité
A Kinshasa, l’état psychologique des populations n’est plus celui de la fin de l’époque mobutiste, lorsqu’il suffisait de décréter que le Maréchal était satanique pour voir frères et sœurs en christ répondre « amen » en chœur. Depuis les années ’90 beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, presque autant que ces acteurs politiques issus des oppositions, qui ont accédé au pouvoir, comme on dit, les uns à la suite des autres. Ils ne se sont pas préoccupés des problèmes des kinois plus que ceux qu’ils critiquaient avec virulence et véhémence quelques années plus tôt.
A quoi il faut ajouter la véritable arnaque que représente les animateurs des principales plates-formes de l’opposition qui pris prétexte du massacre des chrétiens de février 1992 pour appeler les kinois à rester à la maison. Dans les rangs des commanditaires de l’opération de ce mardi, des bourreaux notoires des chrétiens tombés sous les balles de l’armée de Mobutu en arpentant les rues de la capitale, chapelets et cierges allumées à la main. Comme ce Sieur Charles Mwando Nsimba aujourd’hui à la tête du G7, la nouvelle plate-forme des anciens de la Majorité Présidentielle. Il faisait partie du gouvernement Nguz Karl I Bond, responsable de la fermeture de la Conférence Nationale Souveraine, dont les chrétiens réclamaient la réouverture. Il y avait assurément quelque chose de sadique à voir ce paternel plastronner parmi ceux qui entendaient faire re-larmoyer sur la mémoire des chrétiens. Avec lui, on peut citer l’UNC Vital Kamerhe. A l’époque, il remplissait les rangs de la tristement célèbre jeunesse mobutiste dénommée Frojemo (Front des Jeunes Mobutistes). Que dire de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, suffisamment connu pour des crimes qui s’apparenteraient aujourd’hui au génocide et au pogrom, au nom de convictions politiques mobutistes (tout au moins antitshikedistes ?). L’attelage du Front Citoyen 2016 ne prête pas foi. Pas beaucoup.
Les moyens de la majorité au pouvoir minimisés
Pour contrer les opposants, le gouvernement, par l’entremise du vice-premier ministre et ministre en charge du travail et de la prévoyance sociale, le Palu Willy Makiashi, a rendu public un communiqué rappelant que la journée du 16 février n’était pas fériée en RD Congo. En même temps qu’il obligeait fonctionnaires et membres des cabinets ministériels à se rendre au travail. Il était donc acquis que Kinshasa ne serait sûrement pas totalement ville morte mardi 16.
Il faut ajouter à ce travail de communication l’intervention dissuasive du patron de la Police de la ville province de Kinshasa. Le Général Célestin Kanyama est passé sur la télévision nationale menacer de représailles quiconque s’en prendrait à ceux qui s’abstiendront d’observer le mot d’ordre de ville morte, comme cela s’était vu par le passé.
Des dispositions sécuritaires pratiques ont également été prises. Les agents de l’ordre armés et prêts à intervenir ont été postés à tous les endroits sensibles de Kinshasa. Des véhicules de la police ont été aperçus qui évacuaient, très tôt le matin, pneus et autres engins disposés sur les artères pour compromettre la circulation. Cela semble avoir suffi. A Kinshasa, les voies de circulation sont demeurées libres, et se sont progressivement animées avant d’atteindre un rythme presqu’habituel.
Le parti des représentations diplomatiques
Il faut sans doute ajouter à cette batterie de mesures et dispositions, la suspension des émissions de la chaîne publique française RFI dont les informations autour du mot d’ordre de ville morte lancé par l’opposition ne différaient guère … d’un appel à l’observer une ville morte. Le mot d’ordre des opposants et ses justifications ont fait la une de la quasi-totalité des éditions africaines des bulletins d’information de la RFI de l’après-midi et de la nuit du 15 au 16 février 2016. Le point de vue du gouvernement, délesté de ses justifications n’intervenant qu’en seconde position, lorsqu’il plaisait à nos confrères de la RFI d’en faire état. Kinshasa s’est protégé de cette influence peu bienfaisante pour lui en suspendant la chaîne française dès les petites heures de la matinée, mardi 16. Sans toutefois réussir à empêcher les chancelleries occidentales de prêter subtilement main forte au Front Citoyen 2016. Les ambassades des Etats-Unis d’Amérique, de la France et de la Belgique avaient répondu 5/5 à l’appel à tuer la vie à Kinshasa en conviant les parents d’élèves de leurs écoles consulaires à garder la marmaille à la maison.
En attendant la fin de la journée, il est donc désormais loisible de tirer quelque conclusion sur la fameuse mainmise que l’opposition prétend détenir sur la population kinoise. Elle s’avère fallacieuse, largement. Il apparaît plutôt que lorsqu’elles réussissent, les mots d’ordre de grève ou de ville morte sont tributaires de la peur qu’éprouvent des populations qui ont souvent eu maille à pâtir avec des bandes de gangs organisés pour les terroriser et les violenter. Cette peur écartée, peu à Kinshasa sont encore disposés à préférer la débrouille quotidienne dont dépend la survie des leurs à quelque slogan politicailleur que ce soit.
Ce n’est pas un slogan. Les résultats d’un sondage d’opinion réalisé par « Le Point et partenaires » du 17 au 18 juillet 2015 à Kinshasa le révèle entre les lignes : dans la capitale, près de 70 % de la population n’a strictement rien à fiche ni de l’opposition politique ni de la majorité au pouvoir. L’échec de l’appel lancé par l’opposition dénude les politiques.
E. MUKUNA