Nul parmi les concernés n’ignore qu’en RD Congo, il faut un minimum de 27 mois pour organiser les scrutins électoraux, même ceux considérés comme « prioritaires » par certains, foi d’un expert en matière électorale qui s’est confié au Maximum à la faveur du débat (de mauvaise foi) sur le fameux glissement du mandat présidentiel. De cette incontournable réalité imposée par les exigences techniques, donc totalement indépendantes des revendications intéressées des acteurs politiques et sociaux du pays de Lumumba, tout le monde est au courant à l’opposition politique comme au sein de la majorité au pouvoir. Attitudes, réactions et déclarations en sens divers certains membres de la classe politique nationale, dont on peut se souvenir qu’elle n’a pas toujours brillé par leur capacité à se surpasser devant l’intérêt général, semblent relever de viles stratégies pour tirer les draps de son côté, comme on dit.
Selon l’expert ès élections du Maximum, les exigences techniques qui entourent l’organisation des scrutins électoraux peuvent aller des appels d’offres qu’il faut encore lancer pour l’acquisition du matériel électoral à l’enrôlement des nouveaux majeurs en qualité d’électeurs et à la tenue des scrutins proprement dits sur un territoire dont les dimensions continentales sont de notoriété universelle.
Les appels d’offres à eux seuls requièrent la bagatelle de 90 jours, conformément à la législation en vigueur en RDC, soit trois mois pour être effectifs. Au cours d’un entretien avec une représentation des Congolais de l’étranger à Kinshasa, le 12 janvier 2016, le président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Corneille Nangaa, a révélé que l’administration électorale en était déjà à la finalisation des cahiers de charges pour un appel d’offres international qui sera bientôt annoncé. En même temps qu’elle effectue des études de planification stratégique, et à l’élaboration d’un plan logistique des élections. On peut donc gager que l’appel d’offres sera lancé avant la fin du premier trimestre 2016, pour une acquisition du matériel électoral vers la fin de l’année, puisqu’il faut compter 9 mois qui seront consacrés à l’appréciation des offres, aux évaluations, marchandages et autres démarches inhérentes à ce type de commande de grande envergure.
L’appel ou les appels d’offres finalisés, il faut compter 30 jours de délais de fabrication du matériel électoral (dans les meilleurs des cas, selon notre expert). Ce qui fait que rien pour ces deux étapes techniques de préparation des scrutions électoraux, il faudra s’attendre à un délai d’une année, soit 12 mois. A l’évidence, le calendrier électoral à publier débordera les mandats électoraux (législatif et présentiel) en cours.
Le matériel électoral acquis, il faudra prévoir ensuite de le déployer à travers un territoire national aux infrastructures on ne peut plus aléatoires. L’affaire peut, néanmoins, prendre quelque 60 jours, soit deux mois au cas où l’aide de la Mission de l’Onu pour la Stabilisation de la RD Congo (Monusco) est assurée (avions, véhicules, et autres moyens de transport). Autrement, le déploiement du matériel électoral devrait s’étendre sur plus de 2 mois. Toutes estimations faites, l’étape du déploiement du matériel électoral ne peut se réaliser qu’au premier trimestre 2017, dans la plus optimiste des éventualités.
Il faut, enfin, passer à l’enrôlement des électeurs, parmi lesquels les nouveaux majeurs qui piaffent d’exercer leurs droits citoyens. Il y en a eu quelque 20 millions en 2006 et en 2011. En 2016, la CENI devrait enrôler quelque 40 millions de Congolais au pays et à l’étranger, selon les lois en vigueur. Une opération gigantesque qui, selon notre expert, requiert … 14 mois, soit un an et 2 gros mois qui devraient étirer le processus électoral jusqu’au premier trimestre 2018, dans les meilleurs des cas. Rien à faire.
Où les Romains s’empoignèrent
Seulement, il n’y a pas que des problèmes techniques qui encombrent le chemin vers des élections fiables, transparentes et démocratiques en RD Congo. Cela aussi, la classe politique et les acteurs sociaux ne l’ignorent pas. Depuis sa prise de fonctions à la tête de la centrale électorale rd congolaise, Corneille Nangaa s’emploie à le crier sur tous les toits. Comme il l’a encore fait, le 6 janvier dernier, devant les responsables de l’Eglise kimbanguiste dans leur antre de l’avenue Saïo dans la commune de Kasavubu. S’il faut s’en tenir à la constitution en vigueur, ce sont bien 11 scrutins électoraux déclinés en modes direct et indirect qu’il faut préparer et tenir à la fin de cette mandature. Et s’il ne faut pas s’en tenir à la loi des lois, la classe politique devrait lever des options qui permettent de réduire le nombre des scrutins à tenir, et donc décider des modifications légales et/ou constitutionnelles qui s’imposent. C’est ce que la CENI tente de faire comprendre à ses interlocuteurs depuis quelques semaines lorsqu’elle évoque les défis d’ordre législatif. La centrale électorale est liée par un ensemble de lois qui régissent à la fois son fonctionnement et l’organisation des scrutins électoraux, qu’il faut impérativement harmoniser par voie de révision. Une prérogative qui relève du parlement de la République et non pas de l’administration électorale qui reste un organe purement technique. Devant une représentation des Congolais de l’étranger, le 12 janvier dernier, le président de la CENI a relevé, par exemple, que la loi portant identification et enrôlement des électeurs datant de 2004 ne prévoit nullement l’enrôlement et le vote des Congolais de l’étranger alors que la loi électorale elle, dispose en son article 5 que « le Congolais résidant à l’étranger qui remplit les conditions, titulaire d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité peut participer à l’élection présidentielle … ». Un renvoi de la balle aux acteurs politiques qui semble avoir provoquer l’ire de quelques acteurs pressés de « dégager » le président de la République en exercice, dans les travées de l’opposition politique particulièrement.
Dans une déclaration politique rendue publique le 14 janvier 2016, le G7 s’en est ainsi vertement pris au nouveau président de la CENI accusé de s’apprêter à publier un calendrier du glissement et de subordonner la publication d’un tel calendrier à un accord politique. Pour les néo-opposants qui s’exprimaient par la bouche de Christophe Lutundula Apala, le bureau de la CENI devrait plutôt se limiter à convoquer la tripartite Opposition-Majorité-Société Civile pour régler les problèmes qui se posent dans ce cadre restreint. Un pied de nez leurs anciens amis et désormais adversaires de la Majorité Présidentielle qui prônent un dialogue politique national et inclusif pour régler ces mêmes problèmes par un consensus dans le cadre d’un dialogue politique national inclusif. Et c’est ici où les Romains s’empoignèrent.
Le parlement surplombé
L’une et l’autre tendance de la classe politique rd congolaise trahit, cependant, un penchant au contournement des institutions légales et constitutionnelles établies. La majorité présidentielle, lorsqu’elle surplombe le parlement en réservant les débats sur l’avenir immédiat de la nation à un dialogue national inclusif qui n’est repris nulle part dans la constitution ou les lois en vigueur dans le pays. Mais surtout l’opposition qui, consciente de sa faible représentation au parlement, tente maladroitement de ramener des discussions qui ne peuvent ne pas contourner l’adoption de textes de loi hors de l’hémicycle. Le recours revendiqué à la tripartite Opposition-Majorité-Société civile apparaît à cet égard comme un raccourci bien commode visant à priver les représentants élus du peuple de leurs prérogatives constitutionnelles. Christophe Lutundula, juriste rôti à toutes les sauces politiques depuis Mobutu, est bien rodé pour jouer la partition qui consiste à diaboliser les adversaires de la majorité, le président de la CENI ainsi que l’avaient été avant cet épisode l’Abbé Apollinaire Malu Malu ou le pasteur Daniel Ngoy Mulunda. Le refrain est connu.
La différence entre l’option du dialogue national et celle des discussions restreintes au sein de la CENI réside dans la hauteur et la force du consensus à dégager et sa capacité à impacter positivement l’ensemble des institutions de la République, dont le parlement qui se chargera de la modification de l’un ou l’autre texte de loi en vigueur. Ce que ne peuvent obtenir quelques résolutions consensuelles issues d’une tripartite organisée par l’institution d’appui à la démocratie qu’est la CENI, laquelle, ne peut, en aucun cas, se substituer ni au législateur ni au pouvoir constituant.
L’incontournable glissement
De glissement de mandats électifs, présidentiel et législatif entre autres, il y en aura inévitablement, s’il n’y en pas déjà selon ce qu’en pensent un certain nombre d’observateurs. De cela aussi, les acteurs politiques et sociaux ont pleine conscience, même ceux d’entre eux qui s’évertuent à tirer les marrons du feu.
Du glissement des mandats électifs, la majorité au pouvoir à tout à gagner parce que, sans violer d’un iota le prescrit de la constitution, elle demeurera aux affaires, tant bien que mal, aussi longtemps que de nouvelles élections ne seront pas organisées en RD Congo.
Mais l’opposition politique, tout au moins une partie de cette opposition, semble croire pouvoir profiter du même glissement pour revendiquer de partager l’imperium avec le pouvoir en place et se hisser aux affaires moyennant élections ou pas. C’est ce qui explique l’insistance dans l’organisation des élections dans d’impossibles délais constitutionnels, synonyme d’organisation du départ de Joseph Kabila et de sa majorité du pouvoir.
En réalité, les choses ne sont pas si simples que cela, quoique l’on prétende. La fin d’un mandat présidentiel n’est pas synonyme de vide au pouvoir, selon la constitution en vigueur qui stipule quelque part, comme du temps du Maréchal Mobutu, que la fin du mandat du président de la République ne devient effective qu’avec l’élection d’un nouveau chef de l’Etat. Avant une telle échéance, le Chef de l’Etat en place demeurera, même sans légitimité populaire.
Seule donc, qu’on le veuille ou pas, un consensus, un dialogue est susceptible de limiter les dégâts : en domestiquant, en quelque sorte, l’incontournable glissement et en le circonscrivant dans des limites de l’acceptable et du raisonnable.
C’est ce que semble avoir fini par comprendre la toute puissante Eglise catholique romaine de la RD Congo, après que le Pape François l’eût fermement rappelée à l’ordre quant à ses partis pris trop prononcés en faveur d’une opposition politique extrémiste. Dans une lettre datée du 5 janvier 2016, Mgr Nicolas Djomo, le président de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), reconnaissait pieusement que « le Saint-Siège nous a fermement recommandé de suspendre les initiatives qui peuvent être manipulées pour des fins politiques ». Avant d’annoncer que les cathos, qui avaient appelé à une marche des chrétiens le 16 février 2016, estiment désormais « judicieux » de surseoir à cette manif’ suicidaire.
J.N.