Dans un entretien publié en octobre dernier par l’hebdomadaire belge P Magazine, au sujet de l’héritage de Léopold II au Congo-Kinshasa, Louis Michel, Ministre d’Etat belge et député européen réputé « ami de l’Afrique et des Africains » s’est fendu d’un vibrant plaidoyer pour ce monarque qui dessina les frontières de l’actuelle RDC et que nombre d’historiens accusent de plusieurs crimes contre l’humanité. La couronne de lauriers ainsi tissée sur le deuxième souverain de la Belgique a fait bondir notre collaborateur, André Lite Asebea.
Après avoir été parmi les visiteurs du soir les plus assidus des têtes couronnées dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, Louis Michel a pris l’habitude ces dernières années de vitupérer avec véhémence contre certains d’entre eux, particulièrement dans la région des grands lacs, ou il est devenu une sorte de baromètre de la bonne gouvernance évoluant au gré de ses propres intérêts. Qu’il ait choisi de prendre à rebours les nombreuses critiques qui ont depuis le siècle dernier indexé l’action humainement inacceptable du roi Léopold II auquel on doit la configuration géographique actuelle du Congo Kinshasa n’est certainement pas innocent. Dans cette nouvelle croisade, ce sont moins des considérations altruistes de développement et de « civilisation » que le souci de justifier la pérennisation d’une œuvre d’exploitation fondée sur l’avidité de s’adjuger de juteuses possessions domaniales au cœur de notre continent qui l’inspirent. À l’instar du deuxième souverain des Belges lorsqu’il demanda au journaliste – aventurier britannique Henry Morton Stanley de regrouper sous son autorité ces « terres de personne » grâce à des accords extorqués sous la menace ou escroqués en échanges de quelques bibelots sans valeur ou de bouteilles de spiritueux.
Les descendants des victimes de la brutale occupation du Congo par les nervis de l’Etat Indépendant du Congo ne peuvent pas ne pas dénoncer cette tentative d’occulter la motivation première de l’entreprise léopoldienne qui ne fut rien moins que triviale.
Dans ses prestations au Parlement européen, Monsieur Louis Michel aime bien camper dans la posture du défenseur de la veuve et de l’orphelin en Afrique. Difficile de ne pas l’entendre vociférer à tue-tête pour « disqualifier », on ne sait trop sur quelle base légale, tel chef d’Etat de la région des grands lacs pour avoir « légitimé la répression » chez lui, ou menacer d’isolement tel autre qui ose laisser son administration imposer le paiement de ses impôts par un de ses protégés médecin opérant des femmes violées. Le voici donc métamorphosé en thuriféraire passionné d’un roi sans cœur qui ordonna sans état d’âmes la mise à mort et la mutilation de milliers de pauvres hères congolais dont le seul crime fut de ne pas avoir fourni à ses comptoirs le lot exigé de caoutchouc pour son enrichissement personnel. « En ces temps-là, dit-il, c’était simplement la façon de faire… ». Dont acte. Il y aurait donc un temps pour tuer, torturer, mutiler et piller et un temps pour défendre les victimes de la répression et des violations des droits de l’homme. La rationalité de cette émotion à la carte, faite de complaisance à l’égard de la barbarie d’un monarque sanguinaire et de rage vindicative à l’encontre de ce qui s’apparente tout au plus à des bavures policières dans un cas ou des tracasseries bureaucratiques dans un autre échappe au bon sens et fait remonter à la surface la fameuse fable des animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine…
Dans une Europe qui se veut profondément humaniste, il est bizarre que des crimes contre l’humanité commis au Congo par un chef d’Etat mercantiliste et cruel soient ainsi absout par un législateur qui se dit de surcroit ami de l’Afrique. Cette attitude ambivalente de Louis Michel, qui semble se croire tout permis que son fils Charles est caractéristique de la culture du double standard qui est souvent le propre des relations entre les Congolais et ceux qui se sont auto octroyés une généreuse « mission civilisatrice » dans leur pays. C’est le seul point de convergence entre le cynisme sans fards ainsi affiché face au martyre des millions de Congolais immolés sur l’autel de la boulimie de Léopold II et les excuses qu’au nom de l’Etat belge Louis Michel, alors chef de la diplomatie de son pays, présenta en 2002 au peuple congolais et aux familles Lumumba, Mpolo et Okito, trois leaders indépendantistes tués en 1961 pour cause de « responsabilité morale » de la Belgique dans leur assassinat. Ou ses envolées virulentes au sujet de quelques dizaines de Burundais arrêtés ou morts des suites d’une crise politique qu’on ne peut en aucune manière comparer à la terrible répression léopoldienne au Congo. Pourquoi deux poids, deux mesures ?
S’agissant de la RDC, Michel semble avoir multiplié ses saillies médiatiques contre les dirigeants « nationalistes » au pouvoir dans ce pays, allant maintenant jusqu’à nier l’évidence des persécutions subies naguère par leurs aïeux, depuis que Joseph Kabila a refusé de renouveler un coûteux contrat de lobbying qui le liait à la présidence de la République en 2005. Il appert assez clairement qu’en dépit de ses propos lénifiants, ce député européen continue à regarder le Congo et les Congolais avec les lorgnettes des « néo cons », nostalgiques de l’ordre colonial belge dont on sait aujourd’hui que les initiateurs ne dénoncèrent les esclavagistes arabes que dans le but de les faire déguerpir pour s’en mettre plein les poches à leur tour. Il est tout simplement révoltant qu’il se laisse aller à canoniser Léopold II dont la boulimique entreprise d’exploitation déshumanisante des noirs s’est étendue pendant près d’un quart de siècle sur l’ensemble des 2.300.000 Km2 du territoire congolais tout entier sans se cacher comme ce sera le cas plus tard avec Hitler et ses nazis qui camouflaient leurs turpitudes derrière les murs des camps de concentration…
« C’est de la démagogie pure. Léopold II ne mérite pas de tels reproches », s’est écrié Louis Michel dans son entretien avec P Magazine. On ne lui fera pas l’insulte de mettre ces propos sur le compte d’une ignorance des sévices infligés aux Congolais sous la férule de son monarque de cœur. Il évoque du reste, quoique du bout des lèvres, les exécutions sommaires, les villages des autochtones brûlés, les déportations, les mutilations (les mains coupées) et l’accaparement sans contrepartie des ressources naturelles et des biens culturels et artistiques qui furent le lot quotidien des Congolais sous Léopold II en parlant de « certaines choses (qui) se sont sans doute passées dans l’Etat indépendant du Congo mais condamner Léopold II à titre posthume est une chose trop facile et dangereuse ». Des atrocités balayées d’un revers de la main en essayant de les contrebalancer avec un chemin de fer (initié pour acheminer le produit du pillage des ressources naturelles congolaises vers les centres de négoce et les industries européennes) ainsi que des hôpitaux qui répondaient plus à une logique d’étables d’entretien pour des bêtes de somme qui, autrement, crèveraient à l’ouvrage, appauvrissant leur propriétaire. On peut se demander ce qu’aurait été la réaction de ce député européen si un Congolais s’était hasardé dans une acrobatie intellectuelle et morale consistant à banaliser les crimes d’Adolf Hitler et de son régime nazi sous le prétexte que « c’était la façon de faire dans l’Allemagne des années ’30 » ?
Si Louis Michel éprouvait de l’amitié pour les Congolais et les Africains, il se serait abstenu de cracher ainsi sur toutes ces incuries et aurait, par exemple plaidé ne fut-ce pour le rapatriement des biens culturels congolais qui constituent la mémoire de la République Démocratique du Congo et qui restent entassés jusqu’à ce jour au Musée de Tervuren dans une banlieue de Bruxelles.
André Lite Asebea
Analyste et Conseiller du Ministre de la Communication et Médias de la RDC