L’intervention du Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux à la tripartite CNSA-Gouvernement-CENI, le 16 juillet 2018, lui coûte une véritable volée de bois vert. Tout au moins dans certains médias nationaux, à l’instigation du président de l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC), Jean-Boucard Kasonga Tshilunde. Alexis Thambwe Mwamba est accusé d’avoir traité les journalistes de « minables, misérables, des personnes qui écrivent n’importe quoi pour peu d’argent, 1.000 ou 1.500 dollars américains de Moïse Katumbi et continuent à lui accorder la parole » au cours d’une intervention sur l’état des mesures de décrispation politique décidées par l’Accord politique du 31 décembre 2016 pour favoriser la tenue d’élections apaisées en décembre 2018 devant la tripartite. L’intéressé approché par nos rédactions a démenti formellement avoir tenu de tels propos. Ses dénégations sont corroborés par deux de ses collègues et trois membres du CNSA qui avaient pris part aux travaux de la tripartite au building de la territoriale sur boulevard Triomphal à Kinshasa. Mais manifestement convaincu de la véracité de cette dénonciation diffusée par des réseaux sociaux, le président de l’UNPC a, sans mettre des gants, décidé de retourner l’ascenseur 24 heures plus tard, qualifiant les commentaires attribués au plénipotentiaire du gouvernement de « méprisants, irresponsables et irrespectueux », et exigeant « le retrait, endéans 48 heures, de ces insultes, faute de quoi la profession prendra des mesures graves de rétorsion ». Ce que bien sûr Thambwe Mwamba, excipant de la mauvaise foi de la source, s’est gardé de faire.
Tribunal d’exception
Vendredi 20 juillet 2018, Jean-Boucard Kasonga Tshilunde a convoqué le bureau exécutif de l’UNPC, les membres des commissions, le comité sectionnaire de l’UNPC/Kinshasa, les présidents des associations ainsi que l’avocat-conseil de l’Union, l’expert-médias Séverin Bamany et le Professeur Malembe Tamandiak pour « statuer sur l’affaire Thambwe Mwamba ». La sentence de ce « tribunal » convoqué pour rendre une justice sommaire et expéditive a été sans appel : six mois d’embargo médiatique contre Alexis Thambwe Mwamba. Depuis l’annonce, au début du week-end, de ce qu’on présente comme le 4ème pouvoir à travers le monde, nombreux sont les confrères qui s’en délectent avec plaisir, et un peu trop allègrement. Surtout si l’on se donne la peine de se demander si, dans le fond, il y a lieu de se montrer fiers de cette réaction pour le moins hâtive de la présidence de l’UNPC. Pas si sûr, ainsi qu’en attestent ces écrits de Litsani Choucran, un confrère qui en rajoute à l’embargo en traitant l’incriminé de « voyou de la République ». « Aucune insulte ne donne droit à une autre. Aucune injustice ne donne droit à une autre. Aucun journaliste, aucun éditorialiste, aucun patron de média que je suis n’a le droit de rendre justice, encore moins celui de répondre à l’insulte », soutient-il, pourtant. En décrétant 6 mois d’embargo contre le ministre de la justice, l’UNPC (tout au moins ceux qui la dirigent) est allée trop vite en besogne, et cela pose problèmes.
Vendetta primaire
D’abord, parce que nul n’est sensé se faire justice à soi-même. Ensuite et surtout, parce que les propos qu’Alexis Thambwe Mwamba reconnaît avoir tenus (« il est malheureux que certains journalistes pour quelques 1.000 ou 1.500 dollars donnent la parole à des minables malfrats qu’ils font passer pour des prisonniers politiques ») ne pouvaient être perçus comme injurieux que s’ils étaient faux ou calomnieux, selon certains journalistes. Ce n’est pas aussi sûr que veulent le faire croire l’emportement des auteurs de la sanction de vendredi dernier. Les sources de l’UNPC ont, de toute évidence déformé les propos du ministre. L’union représentative de la corporation a, de plus, fait l’économie de la contextualisation des propos reprochés au ministre de la justice, qui apparaissent comme s’ils avaient constitué l’objet de sa prestation devant la tripartite. C’est dans le cadre de l’épineux dossier des cas des prisonniers dits emblématiques et du respect de l’Accord politique du 31 décembre 2016 que le ministre de la justice a déploré, en des termes qu’on peut apprécier ou pas, certains comportements de la presse. «Le processus de décrispation avance, j’ai libéré 4109 personnes, les conditions pour Muyambo, Diomi et autres ne sont pas remplies. On a libéré tous les prisonniers, il n y a pas des prisonniers politiques. Muyambo, Diomi et autres ne sont pas des prisonniers politiques, ce sont de criminels de droits communs. L’accord n’est pas la bible, on cite les cas libérables, Muyambo, Diomi et autres ne sont pas de cas libérables », avait asséné le ministre. Autant, du reste, que Moïse Katumbi, selon lui. C’est en commentant ce dernier cas qu’Alexis Thambwe Mwamba a estimé « malheureux » que des journalistes continuent à le considérer comme un exilé politique.
Décision sur propos hors contexte
Il apparaît donc que le ministre de la justice ne s’adressait pas à la presse, en tout cas pas à toute la presse mais seulement à « une certaine presse », selon l’expression consacrée (même si cela crée la désagréable impression de diviser la profession). C’est au secours de ceux qui dans les médias continuent de faire croire, contre toute évidence que le dernier gouverneur de l’ex. Katanga était à l’étranger pour des raisons politiques (ce qui est factuellement faux) que l’UNPC a si hardiment volé. Cela peut et ne manquera pas de s’apprécier diversement. Surtout s’il appert que certains responsables politiques ont déjà dénoncé les mêmes faits sans encourir des foudres de guerre de la profession. Et que des syndicalistes de la presse aussi pointus que JED font eux-mêmes souvent état de l’existence dans la profession de « moutons noirs »…
Percevoir des propos accusant cette presse-là de monnayage de ses colonnes ou de ses lignes éditoriales comme injurieux est aussi diversement appréciable. D’autant plus que le ministre de la Justice n’est ni le premier ni le dernier en RD Congo ou ailleurs à faire état de ces pratiques qui, sans faire l’unanimité même parmi les membres de la corporation, n’en sont pas moins avérés. « Ça coupe saignant dans la presse », ce ne sont pas des aveux qui manquent, puisque des études on ne peut plus sérieuses existent sur le sujet. «… professionnalisme et responsabilité restent largement à reconstruire, dans un secteur marqué par la peur, la corruption et la violence », écrivait en 2005 déjà, Marie-Soleil Frère au sujet de la presse en RD Congo. « La plupart des titres vivent de leurs accointances avec les hommes ou partis politiques et ne développent guère de réel projet éditorial (…) on constate en permanence la publication d’articles issus non d’une démarche désintéressée de collecte de l’information, mais de la vente d’un espace à un individu ou une structure. Certaines pratiques de grande corruption semblent aussi fréquentes dans certains titres (chantages, falsifications…), et la pratique du « coupage », intervention financière visant à obtenir du journaliste qu’il publie ou taise une information, s’est généralisée », explique-t-elle. Loin d’épuiser un sujet auquel des enseignants de journalisme ont consacré moult études pertinentes, à l’exemple de Rigobert Lapess Munkini de l’Ifasic, qui s’avoue préoccupé « par le caractère ambivalent de cette pratique qui se pose comme phénomène répréhensible mais est entretenu et parfois encensé par ceux-là même qui l’accablent ».
En sanctionnant Alexis Thambwe Mwamba, l’UNPC aura sans doute voulu « défendre la liberté, les droits et les intérêts généraux de la presse et de ses membres … », ainsi que le stipulent ses statuts. Mais ce faisant, n’encourage-t-elle pas dans le même temps l’arbitraire autant que des tares par ailleurs déplorés par tous en imposant une espèce d’omerta sur des antivaleurs qui déshonorent la profession ? Auquel cas, les sanctions contre le ministre de la justice sont peu responsables.
Jean-Pierre E. MUKUNA