Alors qu’il était aux commandes d’une croisade pour la conquête du pouvoir, l’archevêque de Kinshasa se retrouve subitement à la porte de la retraite, soulevant des réactions qui laissent très peu de place au regret. Terrible attitude qui atteste de cette désacralisation d’un prince de l’église qui s’est fait harakiri en décidant de faire intrusion dans l’arène de la politique politicienne avec des méthodes et un style des plus controversés qui auront été à la mesure de la dimension anarchique et subversive de son cheval de Troie, le comité laïc de coordination (CLC)…
L’annonce de la nomination d’un Archevêque coadjuteur pour l’Archidiocèse de Kinshasa a suscité une avalanche de commentaires dans tous les sens, mais avec comme point d’intérêt, le sort de Laurent Cardinal Monsengwo. Tout simplement parce que celui-ci, en charge de cet Archidiocèse, le premier du pays, est désormais sur le départ pour sa retraite. Un départ qui a cependant mis du temps au regard de la limite d’âge qui frappait Laurent Monsengwo depuis quelques années déjà.
Dans un entretien accordé à l’agence Fides de la cité du Vatican, le cardinal Fernando Filoni, Préfet de la congrégation pour l’évangélisation des peuples, a en effet, expliqué que l’actuel archevêque de Kinshasa a « présenté sa démission du gouvernement pastoral de Kinshasa au moment de son 75ème anniversaire. Le Saint-Père, comme il le fait souvent, prolonge le mandat aux vues des conditions de santé et pour ne pas priver le diocèse de son pasteur jusqu’à la succession. Au cours de cette période, une étude a été conduite sur la situation de l’Archidiocèse, sur les attentes de ce dernier – de la part du clergé, des religieux et des laïcs – et des indications ont été demandées à de nombreux Prélats, ecclésiastiques et fidèles ».
Depuis la nomination de Mgr Fridolin Ambongo Besungu, une période transitoire devrait s’instaurer pour permettre que le passage des consignes entre le Cardinal Laurent Monsengwo et Mgr Fridolin Ambongo intervienne « avec le calme qui convient et une connaissance approfondie de cette circonscription ecclésiastique complexe ».
Le cardinal Fernando Filoni s’est gardé d’indiquer la durée temporelle de cette période transitoire, espérant simplement que « que le cardinal Monsengwo sera content de laisser son Office dans des mains sûres et zélées ».
Bible, soutane et politique
Considérée du point de vue de l’église catholique, cette nomination d’un coadjuteur est tout à fait normale et s’inscrit dans l’ordre naturel des choses selon les us cléricaux. Mais elle intervient à un moment bien particulier de l’actualité en RD Congo par rapport à la personnalité même du partant. Monsengwo Pasinya est, en effet, au cœur d’une très vive controverse sur son rôle et ses responsabilités dans les activités d’une organisation qu’il a montée au sein de l’archidiocèse de la capitale dans l’ignorance totale de l’église catholique au Congo à travers son organe faîtier qu’est la CENCO.
Le comité laïc de coordination (CLC) de Monsengwo est en effet apparu à nombre d’observateurs, comme une génération spontanée, même si ses porte-voix font remonter sa toute première existence ponctuelle à la célèbre marche des chrétiens du 16 février 1992 en faveur de la réouverture de la conférence nationale souveraine fermée par Mobutu. On doit à la vérité de démentir cette allégation et de rappeler que la structure organisationnelle de la marche contre le dictateur de la deuxième République en 1992 fut CALCC.
Aujourd’hui, le CLC suscite des doutes sur sa vraie nature. Même si, pour les besoins de la cause, l’ex. Nonce apostolique en RDC, Mgr Luis Mariano Montemayor, lui a, dans une maladroite justification à posteriori, déclaré que ce groupe totalement anarchique et illégal était légitime. Il avait expliqué que le CLC avait obtenu une « reconnaissance provisoire » de l’archevêché de Kinshasa, sans toutefois donner la moindre indication sur sa nature, son objet et son rôle, et moins encore la durée de ce « provisoire » et en ignorant superbement l’accord-cadre entre le Saint siège qu’il représentait au pays de Lumumba et qui exige l’enregistrement d’une telle organisation par les autorités civiles, ce qui lui a valu d’être désavoué et rappelé par le Vatican.
Le CLC s’est, cependant, lancé dans des activités en marge des dispositions légales avec la bénédiction aussi publique qu’officielle de Mgr Monsengwo qui, par deux fois, a non seulement soutenu mais également revendiqué ses activités. A deux reprises, en effet, le CLC a convoqué des marches sans communiquer à l’autorité publique les indications nécessaires à leur encadrement, notamment le point de rassemblement, l’itinéraire et le point de chute. Même l’objet de ces marches était ambigüe sur la base d’une revendication officielle quant à l’application intégrale de l’accord du 31 décembre 2016.
Le secrétaire général de l’UDPS/Limete, Jean-Marc Kabund, a dernièrement révélé qu’en réalité, c’est l’opposition qui co-organisait ces marches avec l’église en vue de l’instauration d’une « transition sans Kabila ». Une idée largement rejetée par l’ensemble des observateurs, même au sein de la communauté internationale, qui la considère comme inopérante, anticonstitutionnelle et attentatoire à l’accord de la Saint Sylvestre en faveur d’une voie insurrectionnelle d’accession au pouvoir.
En toute logique donc, l’église catholique de Kinshasa, par le seul fait de son berger, le cardinal Laurent Monsengwo, a cautionné cette logique tout en participant activement à sa concrétisation. Normal donc que le cardinal soit désormais considéré comme un acteur politique à part entière et traité comme tel dans le sérail. Et les observateurs les plus objectifs n’hésitent pas pour considérer que, de ce fait, le cardinal Monsengwo a choisi de quitter de lui-même son piédestal de prince de l’église pour se jeter corps et soutane dans l’arène politique.
Au fait, le cardinal Monsengwo n’en est pas là à ses premiers pas dans la politique. C’est depuis la transition mobutienne qu’on l’a vu s’escrimer à partir de sa présidence de la CNS jusqu’à celle des deux parlements de transition (HCR et HCR-PT).
Il se raconte que même pour se hisser aux commandes du méga- archidiocèse de Kinshasa, Laurent Monsengwo aurait usé sous la deuxième République de ses influences politiques au niveau du Vatican. En effet, alors qu’il était archevêque de Kisangani au moment de la mort du cardinal Frédérin Etsou, il aurait effectué une virée à Rome pour revenir avec sa nomination en poche. Une pirouette sur laquelle les autres prétendants ou pressentis n’y virent que du feu, à l’instar de Mgr. Daniel Nlandu, un des trois évêques auxiliaires de Etsou et qui assurait l’intérim après la mort de ce dernier.
Qui a bu boira, dit-on. Laurent Monsengwo a tellement pris goût à la politique qu’il en est arrivé, au-delà de son influence, à participer au jeu de la conquête du pouvoir par des méthodes plus que controversées avec une structure à l’existence tout aussi controversée et des pratiques anarchistes. Normal donc, peut-on dire, que son départ, indirectement annoncé par la désignation d’un coadjuteur, fasse autant de bruits.
Un départ qui, aux yeux de certains observateurs, se fait avec fracas, certes, mais passe plus comme une sortie par la petite porte pour cet homme englué jusqu’au cou dans une croisade qu’il avait fini par transformer par son agitation en une sorte de question personnelle de vie ou de mort. Normal aussi que, par consolation certainement, ses affidés dans les paroisses de Kinshasa trouvent dans le tonitruant Mgr. Fridolin Ambongo une sorte de sosie de Monsengwo en termes de radicalité politique.
Pas assez, cependant, pour que certains ne se désolent pas d’une retraite qui aura battu tous les records de célébrité…
Amuri Senga